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Le désormais et malgré lui Florinois Émile Demaret, 96 ans, a passé quatre années de sa vie au bagne de Guyane. En qualité de surveillant.

 

Quand il a fait le choix de partir comme surveillant pénitentiaire en Guyane, Émile Demaret avait en tête le cliché du commun des mortels : de noirs boulets au pied des détenus et des matraques sonnant mou dans les paumes des matons. Quand, à 27 ans, il a débarqué sur l’île Royale (1) en mai 1945 et après un an de formation à la prison Saint-Michel de Toulouse, il a dû remettre tous les compteurs de ses a priori à zéro. Pas de Chéri-Bibi à l’horizon. Du moins pas dans la forme. Et sur un gros rocher d’un quart de kilomètre carré battu par les vents atlantiques, des surveillants moins armés pour contrer les évasions que « les requins, les serpents, les jaguars, les chasseurs d’hommes et les fièvres tropicales »… Le tout, avec pour fond sonore, à jamais accroché au souvenir de sa première nuit de garde, « le vent dans les cocotiers et la rumeur des vagues qui faisaient ensemble un bruit de fauve ».

Salopards et victimes

À 96 ans, Émile Demaret, qui affiche une forme quasi olympique, évoque d’autant plus volontiers ses souvenirs qu’il est aujourd’hui, l’un des derniers, voire le dernier, témoins de l’administration pénitentiaire ayant servi au bagne colonial. Installé depuis son veuvage il y a six ans, chez l’une de ses filles à Sainte-Florine, Émile met souvent sa mémoire à contribution pour conter aux journalistes et autres documentaristes (2) le quotidien qui fut le sien et celui des forçats entre 1945 et 1952. Il évoque cette cellule à ciel ouvert, dans laquelle vivaient les détenus qui « n’étaient enfermés que la nuit dans des cases d’une quarantaine de personnes et passaient la journée à travailler : coupe du bois, débroussaillage, nettoyage des sites… ».

Ex-boxeur, Émile Demaret n’a pas eu à insister pour imposer son autorité. Mais ce n’était de toute façon pas dans la philosophie de l’homme, épris de littérature classique et fan absolu du peintre Monticelli, qui a vu défiler « de vrais salopards avec du sang sur les mains mais aussi des victimes de la société dont la place n’était pas là ».

En poste après l’évasion d’Henri Charrière, qui a romancé son histoire dans Papillon, mais contemporain pendant un temps de Guillaume Seznec, « un grand homme taciturne » Émile Demaret n’a pas connu l’époque où les conditions de vie des détenus étaient les plus terribles. Quand, notamment « on les laissait mourir de faim… Ou quand les libérés, qui faute de moyens ne pouvaient rentrer en métropole », grossissaient les rangs des mendiants de Cayenne ou de Saint-Laurent-du-Maroni. « Ils ne trouvaient pas d’emploi parce que les gens préféraient payer des détenus à bas prix, à l’administration pénitentiaire ». Double peine…

Des images marquantes?? Les morts que l’on ne pouvait enterrer dans le roc des îles. « Les corps étaient enfermés dans des housses en toile et ils étaient jetés à l’eau tandis que retentissait la cloche de la chapelle. C’est là à ce son-là que les requins arrivaient… ».

Magie noire

S’il évoque encore l’extrême violence entre les prisonniers, « les problèmes de mœurs et de ménage », les trafics en tous genres et la magie noire, la détestation dans laquelle les civils locaux tenaient les surveillants… Émile se souvient avec bienveillance de Robert, ce jeune relégué qui « n’aurait jamais dû être là », pour le retour au civil duquel il s’était porté garant. Il entretiendra d’amicales relations longtemps après sa libération, jusqu’à sa mort. Émile a perdu deux enfants en bas âge en Guyane : Robert, à l’insu d’Émile, fleurissait chaque jour la tombe de la petite-fille…

À la question de savoir ce que le bagne a changé en lui, l’adepte de la théosophie répond simplement : « Je suis ce que j’étais. Contrairement à d’autres, je n’ai jamais cherché à profiter de la situation. Je considérais juste les prisonniers comme des hommes ». 

(1) L’une des îles de l’archipel du Salut avec l’île Saint-Joseph et la plus tristement célèbre île du Diable.

(2) Il était récemment interviewé par Nazim Ben Habib auteur d’un documentaire sur Les Maghrébins du bagne de Guyane, réalisé par Barcha Bauer.

 

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Tag(s) : #Bagnes coloniaux
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