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 Journal de ma prison (septembre 1944 - février 1945) - Histoire du RNP - Les Écrits en prison de Georges Albertini

Sitôt édité l’an passé, l’ouvrage de Morvan Duhamel Entretiens confidentiels de Georges Albertini a suscité l’intérêt et posé question. Comment un jeune espoir, avant la guerre, du Parti socialiste SFIO et de la CGT, avait-il pu rallier, sous l’Occupation, le national-socialisme et la collaboration franco-allemande ? Puis, condamné au bagne, bénéficier d’une remise de peine du président de la République, le socialiste et ex-résistant Vincent Auriol, pour reprendre son activité politique ? Et ensuite, sous la IVe et la Ve République, exercer une si forte influence sur de hautes personnalités de tous bords ? Cela tenait à sa personnalité, hors du commun. Pour la connaître, rien de mieux que les écrits qu’il a rédigés lorsqu’il était incarcéré à la prison de Fresnes, entre septembre 1944 et février 1945. Il y attendait son procès, dont beaucoup ne doutaient pas qu’il s’achèverait par une condamnation à mort ; ce fut le cas pour plusieurs de ses codétenus. Lui-même l’envisageait et s’y préparait. Il rédigea donc, pour ses avocats, une Note autobiographique détaillée. Il tint aussi un Journal de ma prison, pour que ses proches connaissent ou que lui-même, s’il survivait, puisse se remémorer comment il avait vécu cette période douloureuse. Il ébaucha enfin une Histoire du RNP, le Rassemblement national-populaire dont il avait été l’organisateur sous l’Occupation, pour ne pas en laisser à d’autres l’exclusivité de la présentation. Ces écrits ne nous renseignent pas seulement sur la personnalité de Georges Albertini. Ils apportent aussi d’utiles révélations sur la période considérée. Par exemple, que le trust Louis-Dreyfus vendait en 1939 du blé à l’Allemagne avec qui la France était en guerre ; que les militants de la SFIO et de la CGT étaient plus nombreux qu’on ne croit dans les mouvements collaborationnistes ; que la prison de Fresnes fut débarrassée des délinquants de droit commun pour pouvoir accueillir en 1944-1945 un très grand nombre de nos élites politiques, économiques, artistiques, intellectuelles, militaires, diplomatiques, administratives, syndicales et autres. Bien d’autres révélations figurent dans cet ouvrage, qui éclaire sur cette période d’une façon qui tranche avec la présentation officielle qui en est aujourd’hui donnée, et qui en surprendra sans doute plus d’un.

Note autobiographique
Journal de ma prison (septembre 1944 - février 1945) - Histoire du RNP
Morvan Duhamel

Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, de Pierre Rigoulot, Perrin, 420 pages, 24,50 €.

Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, de Pierre Rigoulot, Perrin, 420 pages, 24,50 €.

1911-1983: Une carrière extraordinaire. L’épuration aurait pu lui être fatale. Condamné pour collaboration, il sut rebondir après la guerre et devint un homme d’influence majeure. Jusqu’au sommet de la Ve République.

Georges Albertini est une énigme. Non pas pour ce qu’il fut pendant l’occupation allemande : bien d’autres, des socialistes comme lui, Laval et Déat, ou d’anciens communistes comme Doriot, firent le pari que, Hitler ayant gagné la guerre, mieux valait s’entendre avec lui afin de préserver les intérêts de la France (ou leurs intérêts personnels). Une croyance s’ajoutant chez Albertini, devenu secrétaire général du Rassemblement national populaire (RNP) de Déat, l’un des “ultras” de la collaboration, à la conviction, du moins pendant un temps, que le national-socialisme d’Hitler n’était pas un concept creux mais une doctrine solide susceptible de donner corps à cette Europe nouvelle dont l’Allemagne hitlérienne semblait être le creuset, et aussi le bras vengeur de l’Occident contre l’Union soviétique de Staline, monstrueuse déviation totalitaire d’un socialisme qui se voulait, à l’origine, porteur de valeurs humanistes.

L’énigme Albertini se forge en fait à la Libération. Ayant refusé, contrairement à Déat qui trouvera refuge en Italie, de quitter la France, il est arrêté et jugé. Bien d’autres seront exécutés, lui s’en tire avec cinq ans de détention. À quoi doit-il cette clémence ? La conjoncture joue en sa faveur. Au moment de son procès, en décembre 1944, Hitler lance dans les Ardennes son offensive de la dernière chance. Nul ne sait comment elle va tourner. La Wehrmacht ne va-t-elle pas renouveler son exploit de 1940, en prenant à revers les armées alliées engagées en Belgique et dans les Pays-Bas ? Prudents, des magistrats refusent de condamner lourdement des accusés qui, demain, pourraient se transformer en accusateurs.

Une séduction oratoire exceptionnelle

D’autres éléments vont servir Georges Albertini. En premier lieu, ses qualités personnelles. Son biographe, Pierre Rigoulot, directeur de l’Institut d’histoire sociale, qui a travaillé sur les archives de son fondateur, écrit : « Albertini était un homme de petite taille. Un oeil presque mort. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de Jean-Paul Sartre, dont le physique médiocre fut toujours compensé, auprès des hommes comme des femmes, par sa brillante intelligence. » Rigoulot précise : « Cet homme avait indéniablement une capacité de séduction oratoire exceptionnelle. »

À la conjoncture, au talent de l’accusé, s’ajoute son “carnet d’adresses”. Ce dernier, avant la guerre, était déjà bien fourni. Il va s’enrichir en prison. À Fresnes, Albertini partage sa cellule avec Hippolyte Worms à qui le lie bientôt, écrit Rigoulot, une « amitié profonde ». Une amitié qui lui vaudra plus tard un emploi rémunérateur dans le groupe Worms et sa filiale bancaire, lui permettant de poursuivre son combat politique sans embarras financiers personnels.

Certains de ses anciens amis socialistes ne l’oublient pas non plus. Ainsi dira-t-on que sa libération anticipée, en mars 1948, après trois ans et demi de détention, sera partiellement due à Paul Ramadier, devenu l’une des personnalités majeures de la IVe République naissante, cependant que sa remise de peine sera signée par un autre socialiste, Vincent Auriol, élu en janvier 1947 chef de l’État.

À sa libération, cependant, Albertini, qui est passé successivement par les prisons de Fresnes, de Poissy et, pour finir, le camp de Varaigne-la Vierge, dans les Vosges, s’interroge sur son destin.

À l’époque du RNP, il s’est profondément épris de sa secrétaire, Gilberte Altmayer, une ancienne communiste. Son incarcération a renforcé sa passion. Dès que possible, il divorcera de sa première femme pour épouser Gilberte. Il songe alors à une vie tranquille, éloignée des tribulations de l’époque. Pour tant, la politique va le rattraper. Avec une obsession : la lutte contre le communisme soviétique, incarnation selon lui du mal absolu dont le PCF de Maurice Thorez est en France le relais.

Ce danger va permettre à ce réprouvé, que son passé aurait pu reléguer dans les coulisses de l’Histoire, de se constituer un réseau d’influence s’étendant de la gauche non communiste à la droite la plus dure. Sans oublier des gaullistes, non des moindres, que leur combat pendant la guerre aurait pu tenir définitivement éloignés de l’ancien bras droit de Déat.

Il faut un socle à cette action. En octobre 1948, Georges Albertini propose à quelques proches, parmi lesquels son ami Guy Lemonnier, plus tard connu sous le pseudonyme de Claude Harmel, la constitution d’un “centre d’archives” destiné à fournir en informations et en arguments tous ceux qui, au sein du personnel politique, redoutent le communisme sans toujours en connaître la nature et ignorent la manière de le combattre. Bien entendu, la publication d’une revue, adressée à un public choisi, devra constituer l’outil privilégié de cette action en profondeur.

Un homme tout particulièrement qualifié va l’aider dans cette tâche : Boris Souvarine. Il a figuré dans les instances dirigeantes de la IIIe Internationale et du PCF à ses débuts, avant de découvrir la véritable nature du stalinisme. La première rencontre entre Souvarine et Albertini intervient en avril 1949. Le courant passe, au point que les deux hommes prendront l’habitude de déjeuner ensemble tous les jeudis. Et que Boris Souvarine deviendra d’un des piliers du Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (BEIPI) lancé par Albertini en mars 1949, avant d’adopter en 1956 le titre d’Est & Ouest.

Mais il faut des moyens. À titre personnel, Albertini est dégagé de tout souci par sa situation au sein du groupe Worms. Quant au BEIPI, son financement sera assuré par le Groupement des industries métallurgiques que préside Étienne Villey, l’un des dirigeants influents du patronat de l’époque. Avant que les services américains, qui placent comme Albertini la lutte contre le communisme au premier plan de leurs préoccupations, ne viennent lui fournir de généreuses subventions.

Les contacts se multiplient. Parmi ces derniers : Jean Baylot, ancien secrétaire général du syndicat CGT des PTT dans les années 1920, préfet de police de 1951 à 1954, membre du Centre national des indépendants, député de la Seine de 1958 à 1962, membre du Grand Orient de France, la plus importante des obédiences maçonniques. Et aussi fondateur de la Grande Loge nationale française dont plus tard le préfet Claude Charbonniaud, une autre relation d’Albertini, deviendra le grand maître. Mais aussi Jacques Chevallier, maire libéral d’Alger, haï par les pieds-noirs fidèles à l’Algérie française. Parmi les fidèles figure également Henri Frenay, le fondateur du mouvement de résistance Combat. Le Vatican n’est pas non plus oublié, en la personne du robuste cardinal Tisserant. Tout naturellement, la Direction de la sécurité du territoire, la DST, chargée du renseignement et de l’action à l’intérieur du territoire français, fait partie du “réseau”, et « la collaboration devint même excellente » avec elle. Ajoutons-y – parmi bien d’autres – Émile Roche, futur président du Conseil économique et social, qui écrira à Albertini : « Il m’est peu arrivé, dans ma vie, de rencontrer un être aussi étincelant que vous. »

Georges Albertini – qui saura gré à de Gaulle d’avoir tenu la dragée haute aux communistes en 1944 – rencontre aussi des fidèles du Général : Roger Frey, futur ministre de l’Intérieur, Jacques Baumel, qui deviendra le secrétaire général de l’Union pour la nouvelle République (UNR), et dont l’action dans la Résistance ne peut être suspectée, fera partie de ses contacts réguliers, tout comme Jacques Foccart, Yves Guéna… Sans oublier Pierre Juillet et Marie-France Garaud, futurs conseillers politiques de Georges Pompidou. En septembre1958, il déjeune une nouvelle fois en compagnie d’André Dewavrin et de Jacques Soustelle, qui se sont succédé à la tête des services de renseignement de la France libre, ainsi qu’avec Pierre Pflimlin qui a dû, en mai précédent, abandonner sa charge de chef du gouvernement au général de Gaulle.

Pour Albertini, l’information ne se conçoit pas sans l’action. Ainsi va-t-il s’efforcer d’aider matériellement tous ceux qui, dans tous les partis, veulent faire barrage au communisme. Il soutient la campagne de François Mitterrand, candidat aux législatives dans la Nièvre, en 1956 (les deux hommes ont bénéficié, à une certaine époque, de l’appui d’Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal, dont Liliane Bettencourt est l’héritière). Deux ans plus tard, aux législatives de 1958, il soutiendra également son vieil ami Jean Baylot, mais aussi Bertrand Motte et Michel Junot, personnalités marquantes du CNI. Dix ans plus tard, après le “coup de tabac” de mai 1968, il apportera son appui à des gaullistes comme Baumel, Frey, Fanton, La Malène, Marette ou encore Duvillard, et aux indépendants Alain Griotteray, Jean de Broglie ou Raymond Marcellin…

L’apogée d’Albertini fut atteint sous la présidence de Georges Pompidou – période, souligne Rigoulot, « où il fut le plus lu, le plus écouté ». Il rencontre alors fréquemment Pierre Juillet, Marie-France Garaud et Jacques Chirac, jeune ministre dont l’un des mentors politiques en Corrèze n’est autre que Charles Spinasse, ancien de la SFIO comme Albertini (également poursuivi pour faits de collaboration en 1944). Ses notes remontent jusqu’au chef de l’État et au directeur des services secrets, Alexandre de Marenches.

Exemple de cette complicité : à la fin de 1972, Albertini, Juillet et Marie-France Garaud se concertent pour élaborer la stratégie à mettre en oeuvre aux législatives de 1973. Une alliance qui se poursuivra des années durant.

Georges Albertini meurt relativement jeune le 30 mars 1983, à l’âge de 71 ans, ayant vu son influence décliner sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Ses obsèques sont organisées par Henri Frenay. À son passif, il faut inscrire deux erreurs fondamentales : la conviction que l’Allemagne, en 1940, avait gagné la guerre ; la crainte de voir François Mitterrand, en 1981, instaurer en France une démocratie populaire en nommant des communistes au gouvernement alors même que le subtil Charentais vidait le PCF de sa substance. Reste que son aventure personnelle est inséparable de l’histoire contemporaine. Claude Jacquemart

Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, de Pierre Rigoulot, Perrin, 420 pages, 24,50 €.


Tag(s) : #Guerre 1939 -1945 - Vichy
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