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« La liste de l’eau-delà » : une nouvelle inédite de Yves Carchon dédiée à Edgar Alan Poe

A Edgar Poe

Il y a des noms qu’on ne devrait jamais porter. Le mien est William Williamson. Il m’a valu bien des désagréments durant toute mon enfance. Au pensionnat d’abord, puis à l’Ecole Militaire où je passais trois ans. Ce nom, qui suivait mon prénom comme un écho répétitif, fut responsable de mille quolibets que me lançaient mes camarades de chambrée. Certains me demandaient si je n’étais pas bègue, d’autres si je n’étais pas fils de William né de William. De cette époque me vient peut-être la haine viscérale que je porte à autrui. Ces vexations sont restées à jamais incrustées dans mes chairs. Et il m’arrive parfois de côtoyer encore en rêve ces implacables tourmenteurs.

William Williamson ! A-t-on idée d’être affublé d’un tel nom ? Ce patronyme ne pouvait guère que m’attirer les pires humiliations, ce qu’il advint, au point que, quand je fus en âge de jouer des poings, on me garda plus qu’à mon tour en retenue, quand on ne me jeta pas au trou pour cause d’indiscipline quand j’eus rejoint l’Ecole Militaire. Avec le temps, ma réputation s’affirma et je devins l’éternel banni –l’insoumis obstiné que le maître d’étude ou le supérieur hiérarchique se devait de mater.

Je garde encore le souvenir de cette salle d’études où je passais des heures à agonir la terre entière, certain qu’un jour l’humaine engeance devrait payer ses crimes. Combien d’imprécations ai-je proférées pour asseoir ma vengeance ? Quel pion ou quel gradé n’a pas subi mon assassine vindicte ? Aucun, je le proclame, ne réchappa à cette époque à ma sainte colère. Et sans la liste trouvée un jour dans la bibliothèque paternelle, j’aurais sans doute pansé mes plaies et oublié mes malheurs de jeunesse. C’est elle qui me permit d’accomplir ma vengeance, elle qui arrêta l’heure de demander des comptes à ceux qui avaient fait souffrir le jeune William Williamson, elle qui me rappela les souvenirs cuisants de mon passé. La confession, que j’écris là, ne tend qu’à rétablir les faits de cette étrange affaire, qu’à expliquer comment une telle vengeance me fut dictée. Pour ce qui me concerne, je reste convaincu que je fus le jouet de l’impitoyable Destin.

Mais avant toutefois que mon lecteur comprenne ce qui eut lieu à l’origine de cette histoire, je voudrais revenir sur un événement qui transforma ma vie : la mort simultanée de mes parents, brutale et imprévue, qui me sauva de l’Ecole Militaire. Etrange mort en effet que la leur : brusque, soudaine et pour tout dire énigmatique. Leurs corps furent retrouvés dans l’un des combles du manoir qu’ils habitaient. Cette mort, jugée bizarre, dut faire l’objet d’une autopsie. Le médecin ayant trouvé des traces d’arsenic dans les viscères de mes parents conclut à un suicide. La nouvelle me parvint alors que je faisais un énième jour de trou dans la caserne de… On m’accorda une permission pour accomplir mon deuil. J’employais tout ce temps à mettre mes parents en terre et à régler toutes ces corvées qui accompagnent ordinairement les funérailles. N’ayant ni frère ni sœur, je me retrouvais seul au monde…

Pour en savoir plus sur le site des éditions CAIRN

 https://www.editions-cairn.fr/blog/nouvelle-yves-carchon

Yves Carchon un collaborateur ponctuel dela rubrique portrait du jour dans le carnet criminocorpus

https://criminocorpus.hypotheses.org/tag/yves-carchon

Tag(s) : #Romans - Essais - Polars - Thrillers
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