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Réactualisation portrait du jour sur la page FB "Culture et justice" - En attendant de publier ce portrait  dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Eric Yung du 24 janvier 2020.

Comme un bonheur n’arrive jamais seul Culture et Justice reçoit avec infiniment de plaisir Eric Yung.

Eric Yung est un écrivain et journaliste. Il était inspecteur au 36 Quai des Orfèvres. A ce titre il a travaillé sur de nombreuses affaires qui ont défrayé la chronique politico-judiciaire dont l’assassinat (le 24/12/76) du député et ex-ministre, le Prince Jean de Broglie. La Tentation de l'Ombre , raconte cette période vécue pareille à une exploration ethnologique.

Curieux des faces cachées de l’humain il cherche, par la littérature, « à mettre en ordre ses obsessions » (Albert Camus).

Éric Yung est un pseudonyme adopté lorsqu’il entre, en 1980, au Quotidien de Paris. Il entre en 1983 à la direction des programmes de France Inter puis au Matin de Paris, et il deviendra « grand reporter » à l’hebdomadaire VSD.

Ex-rédacteur en chef à Radio France et ex-chroniqueur littéraire sur France Bleu Ile de France (107.1), Éric Yung a produit de nombreuses émissions radiophoniques. Frenchpulpeditions.fr/auteurs/eric-yung/

L’interview a été réalisé le 13 décembre 2019 par notre ami Marc Renneville  dont le dernier livre, “Vacher l'éventreur - Archives d'un tueur en série   ” est sorti le 7 novembre dernier aux éditions Millon

Bienvenue Eric sur le blog des “aficionados du crime”. Ph. P

Directeur du CLAMOR, Marc Renneville est historien des sciences spécialisé sur les savoirs du crime et du criminel, directeur de recherche au CNRS et membre du centre Alexandre Koyré depuis 1998 (UMR 8560).Il dirige le projet numérique Criminocorpus depuis sa création (2005). En 2008, il est à l’initiative de la création de la revue Criminocorpus sur le portail revues.org. En 2014, il initie sur le portail Criminocorpus la création d’un musée virtuel d’histoire de la justice regroupant des expositions, des visites de lieux de justice et des collections thématiques...

"- Il n’est pas rare qu’un policier témoigne de sa vie professionnelle à travers livre et radio. Il est moins fréquent de changer de métier en passant de flic à journaliste. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours professionnel et les raisons de ce changement ?

Je suis devenu flic à la fin de l’année 1969 et en suis parti avec perte et fracas au début du printemps 1978. A l’époque les scandales politiques étaient fréquents et parmi eux il y avait l’affaire De Broglie (toujours classée confidentiel défense). L’affaire De Broglie ? Du nom - pour mémoire - de cet ex-député, ancien ministre du gouvernement Pompidou et trésorier du parti giscardien les « Républicains Indépendants ». Le prince Jean De Broglie a été assassiné le 24 décembre 1976, rue des Dardanelles dans le 17è arrondissement de Paris. Ce dossier judiciaire est devenu très vite un scandale politico-policier et judiciaire et a nourri les « Unes » des journaux pendant plusieurs années, au moins jusqu’à la fin de 1981, date de la clôture du procès en cour d’assises des accusés ayant participé à cet assassinat. Ceci dit, et pour dire l’importance et l’aspect exceptionnel du meurtre dont le mobile est resté mystérieux, bon nombre de livres et de documents télévisés s’intéressent, aujourd’hui encore, à cette « affaire » de la Vème République. Je rappelle un fait établi : plusieurs semaines avant la mort violente de Jean De Broglie, la police savait que le trésorier des « Républicains Indépendants » serait assassiné. Une police qui n’est pas intervenue et qui n’a ni averti, ni protégé l’ex-député. Bref, sans entrer dans les détails, sachez que c’est à l’époque de cette affaire que j’ai quitté « la grande maison ». De toute façon j’avais programmé mon départ et quelques semaines avant ce crime j’avais rédigé ma lettre de démission. En effet, à cette période-là, après neuf ans de « flicaille », je considérais que j’avais fait le tour du métier de policier. Il est vrai que j’étais entré à la Préfecture de Police pareil à un ethnologue. Mai 68 n’était pas loin, le « flic » n’était pas bien vu par la population et en particulier par la jeunesse qui la critiquait beaucoup. Dans les rues, les bistrots et au sein des familles on entendait dire pis que pendre sur l’institution et ses fonctionnaires. Et si aujourd’hui, les policiers se plaignent - c’est légitime - de ne pas être suffisamment aimé de la population je vous affirme que dans les années que je viens de citer la chasse aux flics était un sport national. Bref, curieux par nature, j’ai eu envie de connaître, de l’intérieur (si je peux dire…), ce métier pas comme les autres. Lorsque j’ai quitté la Brigade de recherches et d’interventions (l’antigang) du quai des Orfèvres je me suis tourné naturellement vers le journalisme. Naturellement ? En effet, durant mes activités de flic j’ai fait connaissance de beaucoup de journalistes et quelques patrons de presse. D’ailleurs, j’écrivais, sous un pseudonyme, des articles pour un ou deux journaux et ce, de façon plutôt régulière ; une activité clandestine que m’ont beaucoup reproché, par la suite, les hiérarques de la police nationale. C’est Philippe Tesson, un homme remarquable et alors patron du Quotidien de Paris qui m’a tendu la main. J’ai donc signé mes premiers papiers dans son journal. Après, j’ai poursuivi mon petit bonhomme de chemin. J’ai participé au lancement des Nouvelles Littéraires puis j’ai rejoint plus tard Le Matin de Paris avant de devenir grand reporter à VSD. Pour en finir avec mon itinéraire professionnel j’ajoute que je suis entré à France Inter, comme producteur lorsque j’étais aux Nouvelles Littéraires et, dès lors, pendant trois ans environ, j’ai fonctionné avec « deux casquettes » : l’une comme journaliste de la presse écrite, l’autre comme producteur radiophonique avec une première émission qui s’appelait (il y en a eu beaucoup d’autres ensuite) Dossier x… en cavale. Enfin, après avoir pris une direction de radio locale de Radio France devenu depuis le réseau France Bleu j’ai rejoint la rédaction de France Inter comme chef d’édition puis comme rédacteur-en-chef.

- Votre dernier livre publié en 2019 aux éditions de l’Archipel porte sur l’assassinat de Sharon Tate commandité par Charles Manson. Qu’est-ce qui vous a incité à choisir ce sujet ?

L’honnêteté intellectuelle m’oblige à confier que l’idée d’un livre sur l’assassinat de Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, commis par le psychopathe Charles Manson, n’est pas la mienne. Elle est celle de l’éditeur, en l’occurrence de Jean Daniel Belfond, patron des éditions de l’Archipel. Un peu plus d’un an avant la parution de ce livre, il m’avait contacté car il avait appris, bien avant les autres, que Quentin Tarantino travaillait sur « Once Upon a time… in Hollywood », film traitant de l’année 69 aux États Unis et, évidemment, de l’affaire Sharon Tate-Charles Manson. Un film très attendu du public qui, en plus, sortait sur les écrans français cinquante ans après le drame. Bien sûr, je connaissais l’affaire Tate-Manson ! Enfin, comme beaucoup de monde, je croyais la connaître à travers ce que j’avais lu, entendu et vu à l’époque de la tuerie qui, et il faut s’en souvenir, a bouleversé le monde entier et atteint l’Amérique dans sa manière de vivre puisque ces meurtres ont bouleversé un certain ordre des choses qui semblait établi pour durer. Je pense ici à la poussée de la contre-culture, aux bouleversements des pouvoirs dans les universités et en particulier celle, prestigieuse, de Berkeley et de son « Free speech Movement », du « flower power » et de la mouvance « hippie » etc. Mais, lorsque j’ai commencé à travailler et que j’ai débuté les recherches documentaires, j’ai constaté que je ne savais presque rien de ce dossier criminel : il est inédit, hors normes, ahurissant, inattendu et, faites-moi l’honneur de me croire, il dépasse l’entendement. Très peu de gens dont - ce qui paraît incroyable - la plupart des témoins de la tragédie ont été au fait de la réalité de ce qui s’est passé le 9 août 1969, à Hollywood, au 10050 Cielo Drive, adresse de la villa de Sharon Tate et de Roman Polanski car personne ne pouvait imaginer la dimension de la folie de Charles Manson et ses adeptes réunis sous le nom de « La famille ». Il faut découvrir l’invraisemblable, car c’est de cela qu’il s’agit, pour comprendre l’ampleur exceptionnelle, unique même, de cette affaire qui va bien au-delà des crimes commis. En effet, elle met à jour une enquête policière d’abord déconcertante, bâclée puis chaotique et qui a malgré tout aboutie grâce à l’action d’un magistrat solitaire qui, in fine, a élevé l’investigation judiciaire au rang de prouesse intellectuelle. Je le disais : du jamais vu !

- Quelles ont été les sources de votre récit ? Avez-vous eu accès au dossier judiciaire ? Vous signalez l’existence dans le Cher d’un dépôt géré par l’association « Le Centre de la Presse » (https://www.lecentredelapresse.com) pouvez-vous nous dire ce qu’on y trouve pour les affaires judiciaires ?

En fin d’ouvrage, je cite intégralement et dans le détail les documents que j’ai pu consulter. En grande partie, il s’agit de journaux, de revues et de magazines de l’époque des faits dont la majorité est rédigée en anglais. Pour donner une idée de l’étendue de la recherche j’ai lu et décortiqué, dans plus de deux cent cinquante titres, environ cinq mille pages, sans doute plus. Je suis donc parvenu à réunir une somme importante d’informations mais avoir accès, comme ça été le cas, à des milliers de faits et de données ne suffit pas ; faut-il encore qu’ils soient fiables, vrais. Dans le monde entier et même dans les journaux réputés pour leur sérieux, il avait été écrit tellement d’inepties, de bêtises, d’ignominies et d’infamies, il avait été rapporté au grand public tant de nouvelles et d’analyses tronquées accompagnées souvent de commentaires et d’éditoriaux infâmes vis-à-vis des victimes du massacre du 10050 Cielo Drive (au point que plusieurs articles tenaient plus des fantasmes sexuels de journalistes peu scrupuleux sur la pertinence des faits), qu’il m’a fallu vérifier une par une l’exactitude des informations. Pour aboutir à de bons résultats, sur ce point précis, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec un ex-agent du « L.A.P.D » (Los Angeles Police Department) en retraite et qui a fini sa carrière au « F.B. I ». Une connaissance fort utile, convenez-en. Et puis, parfois, l’écriture d’un livre est une belle aventure. Jugez-en.

Photo d'identité judiciaire de Charles Manson en 1968. 

Lorsque l’on est journaliste ou écrivain, en tout cas auteur de livres documentaires, c’est l’inattendu des choses comme le « hasard », la « chance », « l’opportunité » et des « rencontres » aussi surprenantes qu’intéressantes qui permettent, très souvent, de construire un récit. Je peux le confesser aujourd’hui mais sitôt après avoir accepté d’écrire « Charles Manson et l'assassinat de Sharon Tate Manson   », c’est-à-dire après avoir signé un contrat avec la maison d’édition l’Archipel qui m’engageait à rendre le manuscrit à l’éditeur quelques mois plus tard, je me suis retrouvé désemparé. Oui, d’un coup, j’ai mesuré l’ampleur du travail et surtout je me suis demandé où et comment j’allais trouver la documentation internationale dont j’avais besoin. Évidemment, il y a les sources classiques : la bibliothèque nationale et ses « satellites », telle ou telle salle d’archives de telle ou telle institution et, aujourd’hui, Internet etc… mais je savais que ces sources-là n’étaient pas suffisantes pour reconstruire, dans le détail, à la minute près et avec une exactitude incontestable, une histoire pareille, une affaire vieille de cinquante ans qui en son temps avait défrayé la chronique criminelle mondiale. Je n’avais aucune idée où chercher et j’étais assez inquiet pour le devenir du livre. Mais, la chance, le hasard, une rencontre… Deux jours après avoir accepté décrire l’ouvrage, un ami me présente à un monsieur, Pascal Roblin, et me susurre à l’oreille : cet homme-là est un peu curieux, c’est un collectionneur fou. Effectivement, depuis son enfance, aux côtés de son père (un bibliothécaire je crois), ce bonhomme tout en rondeurs et au visage rayonnant collectionne les journaux du monde entier. Pour donner une idée de sa « folle » passion, il faut savoir, pour l’exemple, qu’il possède la totalité des numéros du journal soviétique « La Pradva », c’est-à-dire du numéro zéro à celui d’aujourd’hui puisque cet organe du parti communiste (le KPRF, ou en français le PCRF) existe encore. Notre collectionneur détient tous les titres déclinés sur plusieurs années dont certaines remontent au début du 19è siècle, de la presse nationale et internationale. Sa collection, abritée dans un bâtiment de plus de deux mille mètres carrés compte environ un demi-million de magazines, de journaux et de revues de toutes sortes. Un ensemble d’archives placé sous la tutelle d’une association du nom de « Centre Presse » et niché dans un tout petit village, au fin fond du pays berrichon. Sacrée rencontre pour un auteur ! Deux semaines plus tard, après avoir expliqué à notre collectionneur ce que je recherchais, une camionnette chargée d’une bonne dizaine de cartons pleins de journaux arrivait à mon domicile. Des documents que je pouvais garder le temps de finir mon travail. J’avais découvert un trésor au cœur du Berry et, aujourd’hui, je ne manque jamais d’en faire profiter des confrères et consœurs en quête de documents rares. Je connais des maisons de productions télévisées qui, maintenant, font fréquemment appel au service du « Centre de la presse » situé dans le département du Cher.

- Votre livre « Charles Manson et l'assassinat de Sharon Tate Manson » est largement consacré à la restitution de l’enquête qui a permis l’inculpation des principaux responsables des meurtres commis le 9 août 1969 au 10050 Cielo Drive à Los Angeles. Pourquoi est-ce l’enquête qui vous a ainsi intéressé ? Quels en sont pour vous les points singuliers ?

- La raison est simple : à ma grande surprise et sauf erreur de ma part - mais croyez que j’ai bien cherché- un seul livre traite sérieusement de l’affaire Manson. Il s’agit de « Helter Skelter » de Vincent Bugliosi , l’attorney general qui a dirigé l’enquête policière et judiciaire et paru, en 1975, chez Bantam Books. Un très bon ouvrage mais qui, de mon point de vue, n’est pas très accessible au commun des mortels tant il est fort juridique et technique. A part ça, il y a quelques ouvrages qui disent rapporter l’affaire Manson-Tate mais aucun n’a de crédit à mes yeux. Ces quelques livres (trois ou quatre, je crois) relèvent de la fantaisie. Surtout, ces bouquins sont axés sur des hypothèses qui tiennent du satanisme, de la sorcellerie, de la magie noire, du complot fomenté par des membres de la scientologie (mouvement fondé par Ron Hubbard ) ou par la CIA et même par la mafia américaine et qui, selon leurs auteurs, expliqueraient les meurtres. En revanche, nombreux ont été les documentaires télévisés ou cinématographiques et même quelques séries qui se sont intéressés ou inspirés de Charles Manson mais, et c’est étonnant, du côté de l’édition littéraire… rien hormis le Bugliosi. Je dois aux lecteurs de Criminocorpus un supplément d’information concernant les livres parus sur Manson – et ceux qui, au moins une fois, se sont intéressés à l’affaire Sharon Tate doivent le savoir. Il existe un ouvrage, assez connu dans le grand public mondial et qui, en son temps serait devenu un « best-sellers » et semble avoir fait la fortune d’un éditeur américain. Il s’agit de « Moi Charles Manson Charles Manson » traduit en français par « Séguier » et qui est présenté comme les mémoires officielles du tueur. Cet ouvrage, sur le fond, frise l’escroquerie intellectuelle. En effet, ce n’est pas Charles Manson qu’il l’a rédigé (Manson savait à peine lire et écrire) mais un certain Marlin Marynick, un infirmier en psychiatrie américain qui a croisé quelquefois Manson dans sa cellule de la prison de Vacaville en Californie. Celui-ci a prétendu avoir recueilli ses confessions et reçu l’ordre de Manson de les faire publier. Ce discours est faux. La vérité la plus vraisemblable est que l’infirmier, un petit malin sans doute, après avoir noté quelques bribes de conversation échangées avec « son patient », et sentant la bonne affaire, s’est vite précipité chez un éditeur en lui affirmant qu’il était en possession de révélations c’est-à-dire de la version des faits sortie de la bouche même de Manson. Ce bouquin décline l’histoire d’un complot d’État dont aurait été victime Manson et visant à éradiquer le mouvement hippie devenu trop influent en Amérique. Cet ouvrage présenté en son temps comme la référence de l’affaire par l’auteur et l’éditeur n’est, en réalité, qu’un ramassis de rumeurs puisées dans des journaux à scandales. Pour revenir à votre question « Pourquoi est-ce l’enquête qui m’a intéressée et quels sont ses points singuliers ? » je réponds : parce que jamais personne n’a écrit (hormis, encore une fois, Bugliosi) sur l’enquête. Or, il faut dire que c’est un miracle que ce dossier judiciaire ait pu être bouclé avec succès. Pendant ses premières semaines l’enquête n’a pas seulement piétiné mais elle a été, par les policiers des sections criminelles du L.A.P.D bousillée, abîmée, bâclée et, disons-le, carrément ratée. Pour dire le peu de sérieux des enquêteurs citons trois exemples : les traces papillaires, les empreintes si vous préférez, découvertes sur le lieu du crime et relevées dans les taches de sang laissés par les tueurs supposés se sont révélées être celles des policiers ; la plupart des indices retrouvés là aussi sur le lieu du crime avaient été piétinés et rendus inexploitables par le laboratoire technique et scientifique ; les deux groupes d’enquêteurs sensés travailler ensemble ont, chacun de leur côté, caché et même détourné des débuts de preuves dans un esprit de concurrence. Par ailleurs, la plupart des témoignages et même certains aveux n’ont jamais été enregistrés officiellement et, par voie de conséquences, n’avaient aucune valeur judiciaire. On peut décliner ainsi les bévues policières sur des pages et des pages. Il a fallu, l’arrivée de l’attorney Vincent Bugliosi à la tête des enquêteurs pour que les choses rentrent dans l’ordre. Pendant sept mois, jour et nuit, il a repris point par point, les investigations policières. On a du mal à croire, lorsque l’on découvre tout cela, qu’une enquête aussi retentissante dans le monde entier ait pu être menée d’une façon aussi chaotique.

Alors, s’intéresser beaucoup à l’enquête dans l’affaire Manson-Tate c’est aussi se captiver pour une machine étatique toute puissante et qui, en fait, s’est enrayée pour de simples et basses raisons : l’ego des policiers, l’ambition des chefs, la guerre des polices, des appétences particulières et l’incompétence professionnelle de certains flics. Une certitude : ce sont ces éléments, relevés et soulignés lors des conclusions officielles de l’enquête judiciaire qui ont porté préjudice à la manifestation rapide de la vérité : celle-ci aurait normalement, dû être mise à jour en 72 heures puisque, 48 heures après la tuerie, le nom de Charles Manson apparaissait déjà comme suspect sur une note non classée et égarée par un enquêteur. Quand on prend connaissance de cette fameuse enquête, on est tellement saisi par l’attitude des policiers que l’on se dit que les comportements des enquêteurs lors de l’enquête Manson-Tate est un cas d’école à étudier par tous les fins limiers du monde. C’est aussi une belle matière de réflexion pour les philosophes et les sociologues. Vraiment, cette enquête est étonnante tant elle recèle de bévues, de sottises et d’impérities. En revanche, la reprise en mains du dossier par l’attorney Vincent Bugliosi et surtout son minutieux et rigoureux travail a permis, malgré tout, de faire éclater la vérité. N’oublions pas que la justice américaine devait prouver la culpabilité de Charles Manson dans le massacre du 10050 mais aussi dans les deux meurtres de la famille La Bianca (le lendemain de l’expédition mortifère de chez Sharon Tate) et d’autres assassinats perpétués dans Los Angeles et ses environs (la justice estime que « La famille » aurait commis 35 homicides). Or, comment faire condamner Charles Manson à la peine de mort alors qu’il n’a jamais participé, physiquement, aux meurtres et qu’il n’a aucun mobile apparent pour les avoir suscités ? Pourtant, l’attorney Vincent Bugliosi parvient à démontrer la responsabilité morale de Manson dans ces crimes. En plus, il réussit, devant la Cour de Los Angeles, à mettre en lumière « le » mobile, un mobile invraisemblable et extraordinaire qui semble sorti de l’esprit d’un auteur de romans fantastiques et d’horreur : c’est celui-ci, lorsqu’il est révélé aux jurés, qui donnera la dimension juste monstrueuse de la personnalité de Charles Manson et qui le fera condamner à la peine capitale. Je le répète c’est une véritable prouesse intellectuelle de la part de Bugliosi. Vous pouvez donc imaginer facilement le grand intérêt journalistique pour une telle enquête.

- Votre livre contient quelques photographies d’époque. Il y en a une qui montre trois des meurtrières (Susan Atkins, Patricia Krenwinkel et Leslie Van Houten) avant une audience préliminaire. Elles forment un trio de jeunes hippies et portent sur leur visage aux traits encore juvéniles un air d’insouciance naïve. Photo trompeuse ! Est-ce que ces images dissonantes vous ont inspirées ?

Cette question est essentielle et surtout elle est la plus troublante et perturbante dans un dossier tel que celui concernant « Charles Manson et l’assassinat de Sharon Tate ». Elle l’est toujours, enfin je crois, dans les grandes affaires criminelles. Je me souviens - c’était il y a quelques années - avoir assisté à Paris, aux deux jours d’audience d’une cour d’assises siégeant pour un double homicide commis par un jeune homme de 25 ou 26 ans. Ce procès était fort attendu et depuis plusieurs semaines la presse avait, plusieurs fois, relaté l’histoire de ces meurtres plutôt sordides puisque l’accusé avait, à coups de hache, trucidé son frère et l’un de ses amis. Les quotidiens et les grands magazines français avaient publié des photographies de la scène de crime et de l’assassin. La lecture des papiers de l’époque ne laissait aux lecteurs aucune place à la compassion, à l’empathie ou à la compréhension en faveur de l’accusé. Au regard des faits rapportés dans les journaux, il était un monstre sanguinaire. On imaginait facilement ce meurtrier avoir une belle carrure avec un visage marqué par la haine ou la méchanceté et un regard dur et froid. Or, lorsqu’il est apparu devant la cour, qu’il est entré dans le box entouré par deux gendarmes, le public (et j’en étais) a lâché une sorte de clameur d’étonnement. Nous avions, à moins de dix mètres de nos bancs, devant nous, un grand adolescent ordinaire que nous n’aurions pas remarqué dans la rue si nous l’avions croisé. La presse nous avait présenté un homme affreux, patibulaire et sans nul doute dangereux et nous nous trouvions devant un jeune homme à peine sorti de la puberté, au visage fin et imberbe et au regard perdu et doux. Et pourtant la cour d’assises l’a reconnu coupable et condamné à une lourde peine de prison. Je raconte cette histoire parce qu’elle illustre une grande partie de mon intérêt pour le fait divers qui, mystérieusement, imbrique en lui-même le paraître et la réalité c’est-à-dire la vérité. Ce que l’on voit est-il vrai ? Non ! Enfin, je ne le crois pas. Je fais partie de ces gens ou plutôt de ces « auteurs » de romans noirs qui sont passionnés par l’exploration de l’intimité de l’Être pour le confronter au paraître. C’est chez moi presque une obsession car je suis persuadé que si l’on observe bien un individu, rien de ce qu’on connaît de lui, est vrai. Pour tenter de comprendre (à défaut de cerner) la personnalité des autres et donc savoir ce qu’ils sont, et - on peut ajouter - ce que nous sommes, il faut descendre dans les profondeurs nauséabondes de l’âme et fouiller dans la boue. J’exagère croyez-vous peut-être. Alors pourquoi les photographies de trois des meurtrières de cinq personnes, dont Sharon Tate, sont-elles si dérangeantes ? « inspiratrices » dites-vous ? Parce que ces clichés en noir et blanc, pris dans un couloir du palais de justice de Los Angeles, montrent trois jolies jeunes filles guillerettes, souriantes et pleine de vie. Avec leurs robes de taffetas ou de tissu fleuri si légères qu’elles flottent dans l’air avec les mouvements de la marche, ces filles paraissent joyeuses, presque heureuses. Mais ce sont elles qui ont assassiné à coups de poignard, frappé des dizaines de fois des êtres humains dont Sharon Tate enceinte de huit mois. Ces trois jeunes filles ont avoué avoir voulu arracher les yeux de leurs victimes pour les lancer contre les murs de la villa du 10050 Cielo Drive. Si elles ne l’ont pas fait ce n’est pas par décence mais parce qu’elles « n’ont pas eu le temps de le faire » ont-elles dit au magistrat. Ces trois filles joyeuses et allègres sur la photo sont celles qui ont trempé leurs doigts dans le sang qu’elles ont fait couler et c’est l’une d’elle qui les a même léchés en confiant, lors de ses aveux, que c’était « aussi bon qu’un orgasme » ; ce sont elles qui ont écrit, un peu partout dans la maison des Polanski, des insultes et ce toujours avec le sang de leurs martyrs etc. Qui, hors contexte, pourraient deviner qu’elles sont des sortes de Gorgones ? Elles sont dans le « paraître » pour cacher une vérité qui ne se reconnaît qu’à ses mauvaises odeurs."

- Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

 

 

 

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Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

 

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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