Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Jacques Genthial . Ce « super-flic » avait participé à la modernisation de la police scientifique dans les années 1980. Photographie fournie par Charles DIAZ

 

« On ne peut rêver d’un métier plus passionnant. Être là, à découvrir sans cesse des univers différents, des situations nouvelles et à agir, assurer. Solidement. » – Jacques Genthial

Jacques Genthial, un des pères de la police scientifique moderne

"Culture et Justice" rend hommage à Jacques Genthial

« Ce « super-flic » avait 82 ans, et avait participé à la modernisation de la police scientifique dans les années 1980.

Il avait dirigé « la Crim », la fameuse brigade criminelle du 36 quai des orfèvres à Paris dans les années 1980, puis la police judiciaire à partir de 1990. Jacques Genthial est décédé, rapporte le quotidien Centre-Presse Aveyron le lundi 18 mai 2020. Il avait 82 ans. »

https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/

"Culture et Justice" a proposé à un autre grand flic, notre ami Richard Marlet, ancien patron de l’identité judiciaire au 36, quai des Orfèvres, de rédiger une biographie pour les lecteurs du carnet.

Richard était sans doute le flic le mieux placé pour dresser ce portrait posthume.

"Culture et Justice" remercie également Charles Diaz  pour le regard apporté à la lecture de ce texte.

Ce portrait a été publié en première lecture sur le carnet criminocorpus le 22 mai 2020.

 

Richard Marlet, ancien patron de l’identité judiciaire au 36, quai des Orfèvres – 

« La méthodologie d’une enquête obéit à un schéma simple qui peut prendre la forme d’une spirale. Son centre et son point de départ sont les lieux du crime. Il est alors nécessaire de figer la scène et ses acteurs et de relever les indices – c’est le rôle de l’identité judiciaire. Puis vient le travail des laboratoires de police scientifique qui exploitent les indices relevés et permettent aux enquêteurs de bâtir des hypothèses de travail. Enfin intervient l’enquête de rapprochement par l’analyse des informations provenant de l’extérieur et des éléments relevés à l’occasion de faits similaires (la documentation criminelle). Un fait oublié, un indice non interprété, une trace non relevée et c’est toute une affaire qui peut s’effondrer ».

En quelques lignes, dans cet entretien qu’il accorde à la revue l’Administration en décembre 1986, Jacques Genthial a tout dit. Pour arriver à cette parfaite maîtrise, il faut des dons certes, de l’intelligence, de la finesse, le sens du mot juste. Mais il faut surtout du travail, de l’expérience et le désir de progresser, de faire toujours plus et mieux .

La lecture de la note biographique élaborée par la Société Française d’Histoire de la police mise en ligne par Philippe Poisson retrace la magnifique carrière de ce grand flic. Mais le rappel des titres et des postes ne suffit pas pour comprendre le parcours, la progression, la valorisation de l’expérience acquise par Jacques Genthial.

Il y a eu d’abord les années d’apprentissage, période indispensable pour maîtriser son art. Comme commissaire de police adjoint, puis comme commissaire de police dans les commissariats de quartier parisiens, le jeune Aveyronnais monté à Paris, Jacques Genthial se frotte à cette police qu’on n’appelle pas encore de proximité ou de sécurité du quotidien mais qui était réellement proche de ses usagers. Il a un atout quand il entre dans la carrière, il maîtrise la machine à écrire. Et il en aura bien besoin pour rédiger les procès-verbaux de constatations, d’auditions, de perquisitions, qui rythment ses journées. Il apprend le travail en groupe, comment tancer les uns et encourager les autres, connaître les forces et les faiblesses. Il ne supporte pas l’incompétence et saura toujours s’entourer des meilleurs. Dans les quartiers populaires, il côtoie la misère lorsqu’il assiste les huissiers de Justice. Il fréquente la mort, violente, brutale ou naturelle lorsqu’il rédige les enquêtes décès. Pour reprendre les mots d’Albert Camus, dans Les Justes, « il est au centre des choses »

A la Préfecture de police, les inspecteurs et les commissaires de police qui ont montré leurs compétences suivent un cursus honorum : commissariat de quartier, brigades territoriales, cabinets de délégations judiciaires (affaires économiques et financières), brigades centrales du 36 quai des Orfèvres. On est adjoint avant d’être chef. On traite de la petite et moyenne délinquance avant de gagner les services spécialisés.

En 1972, pionnier en la matière, Jacques Genthial quitte la Préfecture de Police pour la Direction Centrale de la Police Judiciaire, que les PPéistes baptisent encore « La Sûreté ». Les offices centraux n’existent pas encore et Jacques Genthial devient adjoint du chef de la 6ème Division plus particulièrement chargée de l’antiterrorisme. Rapidement, il en maîtrise la culture et la procédure. Le cursus à « la Centrale » est assez similaire à celui de la PP avec la dimension territoriale supplémentaire qui fait alterner les passages dans les services régionaux de police judiciaire de province et les divisions spécialisées de la rue des Saussaies. Partout où il passe, il améliore, il modernise mais montre aussi ses grandes qualités d’enquêteur. « Il a du flair c’est sûr et une façon bien à lui d’orchestrer les enquêtes, ne jamais rien laisser au hasard même si cela exige un surcroît de travail pour tout le monde et des moyens matériels ».

En 1981, alors qu’il est devenu patron de l’antiterrorisme à la direction centrale il est avisé que des locataires ont quitté précipitamment un appartement en abandonnant des documents qui semblent émaner de l’organisation Fraction Armée Rouge (Rote Armee Fraktion RAF) autrement appelée la Bande à Baader. Il sollicite l’intervention de l’identité judiciaire parisienne. L’appartement est badigeonné à la poudre d’aluminium, procédé utilisé pour révéler les traces digitales. Sans aucun résultat. Ses collègues allemands lui proposent leur aide pour examiner une nouvelle fois les lieux avec leurs méthodes et leurs spécialistes. Les experts allemands se rendent à Paris avec un véritable camion-laboratoire. Ils révèlent 70 traces papillaires qui permettent d’identifier 2 personnes dont certaines n’étaient jamais apparues dans les nébuleuses terroristes. Jacques Genthial saura s’en souvenir.

En Avril 1982, il est nommé chef de la prestigieuse Brigade Criminelle du 36 quai des Orfèvres. « En juillet 1983, pour découvrir qui a tiré sur le petit Toufik depuis un immense immeuble de la cité des 4000 à la Courneuve, il mobilise une trentaine d’inspecteurs qui procèdent à des perquisitions systématiques dans tous les appartements d’où le coup de feu a pu partir ». Et cela paye. L’arme et le tireur sont découverts.

 

Jacques Genthial à la tête de la Crime – Photographie fournie par Charles DIAZ.

 

C’est encore son service, où il fait entrer pour la première fois une femme inspecteur et plus particulièrement sa Section Antiterroriste, qui démantèle le groupe de l’Armée Secrète de Libération de l’Arménie –ASALA- qui a commis le sanglant attentat de l’aéroport d’Orly le 15 juillet 1983.

Malgré ses qualités et ses succès, Jacques Genthial est débarqué et se retrouve chargé de mission auprès du directeur central de la police judiciaire. On le charge de reprendre un dossier oublié sur les moyens consacrés par la police à ses enquêtes. Une fois encore, il use de sa formidable capacité de travail et de son expérience. Il se déplace, se documente. Il fait le tour des services d’identité judiciaire et des laboratoires français. Il recueille des informations sur l’état de l’art en République Fédérale Allemande ou en Angleterre.

Edmond Locard  fondateur du premier laboratoire de police scientifique

Le bilan qu’il fait dans ce qui restera un pré rapport est catastrophique. La France qui a vu naître Alphonse Bertillon, créateur du premier service d’identité judiciaire en 1883 et Edmond Locard  fondateur du premier laboratoire de police scientifique est devenue la lanterne rouge de l’Europe.

Quant aux laboratoires de police scientifique, leur personnel est notoirement insuffisant (40 scientifiques et 40 policiers spécialisés notamment en balistique contre 1 000 en Allemagne de l’Ouest ou au Royaume-Uni). Leur formation est inexistante. Ils apprennent « sur le tas ». Le budget d’équipement est dix fois moins important que dans les autres pays visités. Les locaux sont vétustes et trop exigus : la totalité des surfaces des laboratoires français est inférieure à celle du seul laboratoire de Londres ou de celui du Bundeskriminalamt (BKA) de Wiesbaden. Il n’y a pas de structure centrale pour gérer, animer et définir une doctrine d’activité.

La plume de Jacques Genthial est terrible : « un replâtrage ne fournit pas un nouveau visage à une ruine » et plus loin « il en va ainsi dans le domaine de la police scientifique où tout est à revoir ».

Les services d’identité judiciaire ne sont guère mieux lotis. Manque de personnel là encore : les 640 fonctionnaires sont en nombre beaucoup trop faible pour répondre à la demande. Ils ne se déplacent que sur 10% des cambriolages. Certains départements sont même totalement dépourvus de structure de police technique et scientifique. Le fonctionnement des fichiers d’empreintes digitales est devenu obsolète. Ils sont locaux et le taux d’identification des traces papillaires découvertes sur les scènes de crime est extrêmement faible. Alors que la rapidité d’intervention de l’identité judiciaire sur les lieux est un gage de réussite, force est de constater que faute de moyens mobiles, cette mission ne peut être assurée (1 véhicule pour 16 actifs).

La documentation criminelle – la mémoire de la police – est largement dépassée. Les fichiers sont le plus souvent manuels et régionaux.

Après le constat viennent les recommandations.

Le pré rapport de Jacques Genthial arrive sur le bureau de Pierre Joxe qui nommé ministre de l’Intérieur, travaille à un ambitieux plan de modernisation de la police nationale. La criminalistique, étudiée pendant ses études de droit, l’a passionné et il décide de faire du renouveau de la PTS, le fer de lance de son projet de loi de finances. Jacques Genthial lui a fourni un levier. Pierre Joxe va soulever le monde de la Police. En novembre 1984, lorsqu’il monte à la tribune de l’Assemblée nationale, il cite des extraits du « rapport Genthial » qu’il a lu dans la nuit ». Il évoque l’état d’abandon des laboratoires de police scientifique, une recherche « pas loin du point zéro », etc.

L’éloquence fait le reste et une loi du 7 août 1985 valide un plan quinquennal de modernisation. Par arrêté en date du 8 mars 1985, la sous-direction de la police scientifique est créée au sein de la direction centrale de la police judiciaire et, tout naturellement, Jacques Genthial en est le premier patron.

Il n’a plus qu’à dérouler son plan selon trois objectifs extrêmement pragmatiques : une présence plus grande sur le terrain, une action mieux organisée, une efficacité accrue. Il estime que la reconstruction de la police scientifique exigera un effort important pendant une période de dix ans. Les actions qui portent sur l’immobilier, l’équipement, le fonctionnement et le personnel doivent être menées en parfaite synchronisation. Un module type de laboratoire a été défini, son effectif théorique évalué, sa surface estimée, ses missions fixées. Il faut renouveler le matériel ancien et doter chaque laboratoire d’appareils de pointe : microscope électronique à balayage, chromatographes, spectromètres de masse.

Des aides techniques, des techniciens et des ingénieurs de laboratoire sont recrutés, formés et affectés dans les laboratoires et les services d’identité judiciaire, eux, voient leurs moyens en matériels techniques et en véhicules renforcés. Un centre de formation à l’identité judiciaire est créé au sein de l’Ecole Supérieure des Inspecteurs de Police de Cannes Ecluse.

Une formation de techniciens de scène de crime (TSC) est formalisée. Les premiers à en bénéficier seront les spécialistes de l’identité judiciaire qui se voient doter des matériels individuels ou collectifs nécessaires à une bonne collecte des traces et indices.

La documentation criminelle n’est pas en reste. Jacques Genthial souhaite que les enquêteurs puissent interroger directement les grands fichiers opérationnels que sont le fichier des personnes recherchées et le fichier des véhicules volés. Il se lance dans un projet ambitieux qui vise à réunir dans une même architecture informatisée les fonctionnalités quotidiennement utilisées par les services de police : statistiques, antécédents, objets volés identifiables, rapprochements sur les manières d’opérer, signalements. Ce nouvel outil s’appellera le Système de Traitement des Infractions Constatées (STIC).

Jacques Genthial sait parfaitement que faute d’un fichier informatisé des empreintes digitales, la Brigade Criminelle n’a pu identifier le tueur des vieilles dames, Thierry Paulin et son complice Jean-Thierry Mathurin. Les travaux sont menés par la société MorphoSystème et aboutiront à la création du Fichier Automatisé des Empreintes Digitales.

Il se tient informé des travaux d’Alec Jeffreys sur les empreintes génétiques, il y voit une nouvelle arme pour lutter contre le crime.

Directeur central adjoint puis directeur central de la police Judiciaire, Jacques Genthial poursuit son œuvre. La création de la première Brigade Régionale d’Enquête et de Coordination (BREC) à Versailles qui a vocation à travailler sur les malfaiteurs dont le refuge et le terrain de chasse sont les cités de banlieue qu’on n’a pas encore baptisées territoires perdus de la République. Il travaille avec acharnement pour l’avenir avec son plan ambitieux PJ 2000.

Il donnera à la direction centrale de la police judiciaire son magnifique logo, superposition du profil de Georges Clemenceau et d’un tigre, associant le créateur des brigades mobiles et son surnom et rendant hommage à la police judiciaire, la seule police qu’une démocratie puisse avouer selon les mots du célèbre ministre de l’Intérieur et président du Conseil.

Au printemps 1993, ce directeur central de la police judiciaire, respecté par les magistrats, admiré par ses hommes est démis de ses fonctions et envoyé au cimetière des éléphants, l’Inspection Générale de la Police Nationale. Croyez-vous qu’il renonce, qu’il s’arrête de travailler. Non, évidemment, il planche sur l’accueil du public dans les services de Police. Il sera à l’origine de la police technique de proximité qui cherche traces et indices sur les scènes de petite et moyenne délinquance. Ce républicain, cet humaniste parce que rien de ce qui est humain ne lui est étranger, travaille sur la création d’une Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Puis vient le moment de la retraite en février 1998.

Pour résumer sa vie toute entière vouée à la police judiciaire, il aura ces mots : « on ne peut rêver d’un métier plus passionnant. Être là, à découvrir sans cesse des univers différents, des situations nouvelles et à agir, assurer. Solidement. »

 

 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :