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"Une histoire de France" de Joffrine Donnadieu

En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Joffrine Donnadieu sur mon blog personnel.

Une fois n’est pas coutume, l’Abeille Criminelle va faire du hors Polar. D’ailleurs il ne faut jamais être l’otage de ses habitudes. Aujourd’hui j’ai donc le plaisir de passer Joffrine Donnadieu, à la question. Joffrine est une jeune auteure qui a fait ses premiers pas au prestigieux Cours Florent. Elle aurait pu choisir de s’exprimer à haute voix, sur les planches. Elle a finalement préféré les mots silencieux : l’écriture. Et pas n’importe laquelle, celle qui hurle, qui touche au plus profond de chacun, interpelle, questionne, tourmente…En un mot une écriture qui ne laisse pas indifférent.

L'interwiev est réalisée par notre collaboratrice Valérie Valeix, romancière

Bienvenue Joffrine Donnadieu sur le très prisé et discret "Culture et Justice"

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Bonjour Joffrine, quel est votre parcours en quelques lignes ?

Petite, je pensais que les acteurs écrivaient leur propres rôles, leurs propres histoires pour les films dans lesquels ils jouaient, c’est pour cette raison que je me suis inscrite au Cours Florent, non pour jouer sur scène. Ensuite j’ai eu envie de démocratiser la culture. J’ai entamé un cursus de directrice socio-culturel en pédopsychiatrie. J’ai notamment travaillé avec des 6-18 ans à la Pitié-Salpétrière dans le service du professeur Cohen.

"Une histoire de France" est votre premier roman. Votre choix d’écriture s’est donc porté sur un fait de société dont on parle très peu pour ne pas dire pas: l’attouchement sexuel sur enfant par une femme ou pédophilie féminine. Serait-ce totalement indiscret de vous demander ce qui a motivé ce sujet (sans entrer dans l’intimité s’il y en a une) ? Avez-vous pu entrer en contact avec des victimes par exemple ?

C’est durant les ateliers que j’animais à l’hôpital que j’ai pu prendre conscience des attouchements féminins, notamment grâce au personnel soignant et encadrant ces enfants. Mais je n’ai pas interrogé directement ces enfants, j’ai juste écouté les uns et les autres.

Vous avez intitulé votre roman » Une histoire de France » parce que l’histoire de Romy et de sa prédatrice France se déroule en France ( à Toul) Est-ce pour interpeller les français sur ce phénomène finalement international, je pense notamment à l’affaire Vanessa George en Grande Bretagne, jugée coupable d’agressions sexuelles sur ses deux enfants de 2 à 5 ans .

J’en ai bien sûr entendu parler mais je ne m’en suis pas inspirée. J’ai juste eu envie de raconter l’histoire d’une petite fille qu’on suit sur dix ans, ses transformations physiques et émotionnelles, forcément impactées par l’attouchement dont elle est victime en silence. J’ai vécu à Toul, voilà pourquoi j’y ai placé l’action mais aussi parce que cette ville de l’Est a connu les affres de la Grande Guerre qui peuvent être assimilées au parcours d’un être humain. J’ai d’ailleurs divisé mon roman en trois parties :

Le chemin des Dames : c’est une histoires de femmes : la petite fille, la femme qui la touche, la mère qui ne voit rien.

14-18 : l’âge où l’identité sexuelle se forme

Gueules cassées : comment peut-on se construire avec un tel passé ?

C’est aussi l’histoire de l’armée, Romy est fille de militaire souvent parti en opération extérieure, sa mère est malade et dans l’attente de son époux ; si quelqu’un a vu quelque chose, l’armée, tout le monde le sait, c’est la Grande Muette. Quant au titre, c’est parce que cette histoire pourrait se trouver dans n’importe quel coin de France, aussi parce que Romy est un objet et qu’on ne nomme pas les objets.

Les femmes pédophiles ont souvent elles-mêmes été victimes d’agressions sexuelles durant leur enfance. Ces faits sont-ils entrés en ligne de compte lorsque vous avez forgé le personnage de cette belle voisine attoucheuse ?

C’est assez compliqué à savoir, toutes ne parviennent pas à le dire. D’ailleurs, pour cette raison le personnage de France (l’attoucheuse) est flou.

Certains pensent que parce qu’il s’agit d’une femme pédophile, le crime est moins grand , considérant que si pénétration il y a elle est moins invasive car il ne s’agit pas d’une verge humaine mais d’un objet. A la fin de votre livre, peut-on dire « Si, la pédophilie féminine est aussi importante ? »

Oui, je pense que ce crime est reconnu comme tel et qu’il est aussi grand que s ‘il était commis par un homme car il s’agit de toutes façons de disposer du corps d’un enfant. On commence à lire des articles sur le sujet.

« Une histoire de France » interpelle sur des faits sociétaux peu évoqués, qu’en est-il de la pénalisation lorsqu’ils sont reconnus ? Les victimes parlent-elles plus quand il s’agit d’une « attoucheuse « plus que d’un « attoucheur » ?

C’est moins sûr car lorsqu’on pense qu’une mère puisse avoir un tel comportement, c’est assez difficile à admettre dans une société qui reste matriarcale. Quant à l’enfant, il lui faut conscientiser cet acte qui commence souvent en douceur avec des doudous avec lesquels on caresse les zones érogènes…

Comment votre livre a-t-il été reçu par la critique ? Celle-ci est-elle différente qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme ?

Très bien. Ce premier roman a été très appuyé par la presse, notamment Le Figaro et relayé par Laure Adler et Annie Arnaud. La presse et les lecteurs étaient au rendez-vous mais je sais qu’il en a dérangé certains par ses mots trop crus, pourtant un vagin est un vagin !

Avez-vous reçu, depuis la sortie du livre, soit par courrier, soit lors des dédicaces, des témoignages de victimes ?

Oui, notamment à travers beaucoup de courriers et je pense en particulier à un homme, artiste peintre qui avait vécu cela enfant et en avait gardé un traumatisme au point de vouloir tenter de d’exorciser son mal être ; en lisant mon livre, il n’en a plus ressenti le besoin. Cela m’a beaucoup touchée.

Lorsqu’on a vécu un tel traumatisme, on peut dire qu’on touche aux cinq blessures émotionnelles de l’enfance (nous en avons tous au moins une) qu’on trouve sous le vocable de TRAHI : trahison, abandon, humiliation, rejet, injustice. Laquelle (ou lesquelles) pour vous, naîtront de cette relation non désirée et qu’en restera-t-il sur la jeune Romy ? Car quelque soit la blessure, si elle n’est pas soignée, elle provoque des dégâts irréversibles à l’âge adulte.

Oui on touche à toutes les blessures et si le traumatisme n’est ni conscientisé, ni pris en charge, ces blessures vont revenir en boucle comme une chanson toute la vie. Ce qui aura bien entendu un impact sur la victime mais aussi ses proches.

Sort-on indemne de ce genre d’écriture ?

J’ai écris comme si c’était un rôle du coup j’ai été « happée » par le ressenti du personnage. J’ai ressenti toutes sortes de choses : maladies, infections, clavicule démise au cours de mon jogging quotidien, bref je somatisais à la place de Romy.

Pour un prochain roman, aimeriez-vous écrire quelque chose de différent, je pense à un genre très à la mode les « Feel good » ces comédies légères faites pour soigner les âmes ?

Ou bien une suite : que va devenir Romy, deviendra-t-elle prédatrice à son tour …

Non, non pas de « feel good » (Joffrine rit) mais quelque chose de moins lourd. Une suite de Romy est en prévision, on sait d’ores et déjà qu’elle ne deviendra pas prédatrice. Au contraire…

A vos yeux, quelle valeur est la plus importante ?

La loyauté.

Merci Joffrine d’avoir accepté de répondre à cette interview et de permettre aux lecteurs de vous découvrir, de leur donner envie de lire "Une histoire de France"

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Née dans les Yvelines en 1971, passionnée d'Histoire, Valérie Valeix a été membre de la Fondation Napoléon. À la suite d'un déménagement en Normandie, intéressée depuis toujours par l'apiculture (son arrière-grand-père était apiculteur en Auvergne), elle fonde les ruchers d'Audrey. Elle s'engage alors dans le combat contre l'effondrement des colonies, la "malbouffe" et dans l'apithérapie (soins grâce aux produits de la ruche).

 

Elle eut l'honneur d'être amie - et le fournisseur de miel - de sa romancière favorite, Juliette Benzoni, reine du roman historique, malheureusement décédée en 2016. Cette dernière a encouragé ses premiers pas dans l'écriture "apicole"...

 

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Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Nos autres sites : REVUE

 

Relecture : Sylvie Poisson

Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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