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La disparition de l’infamie dont la République française a longtemps frappé ses « mauvais » citoyens a-t-elle fait progresser notre idée de la citoyenneté ? Le livre que Anne Simonin consacre à l’histoire de l’indignité nationale, depuis la Révolution jusqu’à la IVe République, soulève des questions à la fois morales, juridiques et politiques sur la nature du républicanisme.

Recensé : Anne Simonin, Le Déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Grasset, 2008, 766 p., 27€.

Le livre qu’Anne Simonin vient de publier chez Grasset témoigne d’une exigence aux antipodes de la maxime du populisme éditorial : « Faites court, simple, élémentaire ». Cela ne tient pas, bien sûr, à son volume (d’imposantes sagas demandent au lecteur beaucoup de temps et peu de cerveau disponible) mais à son objet, et à sa démarche. Je voudrais montrer ce qui légitime l’exceptionnelle complexité de ce livre (ou plutôt des trois qui nous sont donnés en un) et, ce faisant, interroger la condition, pour une part implicite, de son unité : une certaine idée de la République.

Commencement par la fin : l’indignité nationale dans le contexte de la Libération

Historienne de la politique, Anne Simonin a consacré ses premiers travaux aux formes intellectuelles de la Résistance (Les Éditions de Minuit 1942-1955. Le devoir d’insoumission, Paris, IMEC, 1994, rééd. 2008). Il s’agissait déjà, dans ce cadre historique concret et dans la sphère spécifique de l’édition, du rapport entre morale et politique. C’est une étude en quelque sorte symétrique (mais où le droit entre en tiers entre morale et politique) qu’elle nous propose ici. Une investigation sur un aspect peu connu du phénomène globalement appelé épuration : le traitement pénal de formes de collaboration qui ne ressortissaient pas aux délits ou aux crimes de droit commun, sous une imputation et une procédure ad hoc, celle de l’indignité nationale.


En un sens, ce livre est d’abord une étude consacrée à la façon dont, dès 1942, il apparaît moralement, politiquement et juridiquement nécessaire de donner un traitement pénal aux faits de collaboration, à la formulation juridique et à la mise en œuvre institutionnelle de l’indignité nationale au moment de la Libération, puis aux modifications apportées à son esprit par la pratique juridictionnelle de l’après-guerre, enfin à son extinction. Pour contestées qu’aient pu être la définition rétroactive de cette innovation juridique et plus encore ses applications, le recours à la notion d’indignité nationale s’est imposé (Camus l’a formulé de la façon la plus percutante dans son éditorial de Combat du 22 août 1944) parce qu’il paraissait moralement et politiquement nécessaire de sanctionner légalement, dans leur conjonction, la collaboration avec le nazisme et la mise à mal de l’ordre de droit républicain sous le régime de Vichy. L’ordonnance du 26 août 1944 sanctionne d’indignité nationale l’aide « directe ou indirecte à l’Allemagne » et l’atteinte « à l’unité de la nation, ou à la liberté et l’égalité des Français ». Pour l’essentiel, ce sont les activistes des groupes et partis collaborationnistes (le plus grand nombre venant du RNP de Déat et du PPF de Doriot) qui seront les inculpés des « chambres civiques ».


Cet objet n’avait pas été étudié de façon systématique, c’est chose faite. De façon d’autant plus convaincante que l’approche est multidimensionnelle : Anne Simonin mobilise à la fois la connaissance approfondie qu’elle a de cette période cruciale et de ses acteurs, ses compétences juridiques (autant théoriques que techniques) et les méthodes de l’analyse quantitative (qui lui permettent une exploitation fine des données juridiques, politiques, sociologiques fournies par les juridictions du département de la Seine entre 1945 et 1951). Notre connaissance de la réalité de la collaboration et de sa répression en est considérablement enrichie. Mais, au delà des données factuelles, cette étude est animée par une forte problématique : montrer comment, dans ces circonstances critiques, la relation entre morale et droit ne peut se réduire à celle qu’engage le droit privé, mais revêt une dimension spécifiquement politique qui relève du statut de la citoyenneté.


La réalisation de ce projet initial aurait pu prendre la forme d’une monographie ; elle n’occupe en fait que la troisième et dernière partie de l’ouvrage. Il en est ainsi parce que celui-ci change de statut à partir d’un constat qui semble d’abord relever du comparatisme historique : loin d’être un bricolage circonstanciel, parce qu’était en jeu la rupture de continuité entre l’État français et la constitution républicaine, le recours à la notion d’indignité nationale s’est imposé, dans le contexte de la Libération, comme la « reprise » d’une figure formée dans les années critiques de la Révolution (1791-1794). Cette notion de reprise enveloppe à la fois l’analogie entre deux situations historiques, leur inscription dans la longue durée d’une histoire de la forme républicaine, et la mobilisation par les acteurs de la Résistance des mythes fondateurs qu’ils en avaient reçus (un référentiel symbolique assez large, cela est à noter, pour organiser à la fois l’imaginaire politique du Général De Gaulle et de ses alliés et rivaux communistes)...

L'intégralité de cet article est disponible en cliquant sur le lien ci-dessous
http://www.laviedesidees.fr/La-Republique-et-ses-hommes.html

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