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maurelIl aurait voulu devenir chirurgien. Le sort en a décidé autrement. Olivier Maurel, 45 ans, est donc directeur de prison. Ce haut fonctionnaire de l'administration pénitentiaire invite, dans son livre " Le taulier ", à un saisissant voyage au bout de l'enfer. Dépourvu de toute langue de bois administrative, son récit décrit froidement la réalité de l'univers carcéral, réceptacle de toutes les violences et misères du monde. Il raconte sans pathos les équilibres subtils qu'il faut à chaque instant maintenir, les accès de folie furieuse de certains et la désespérance. Il en a vu. Il en a vécu, lui qui, en avril 2000, fut pris en otage par un détenu à la maison centrale de Moulins-Yzeure (Allier). Il ne juge pas. Il essaie de comprendre. Toujours avec la bonne distance. Partisan d'une " prison démocratique, laïque et républicaine ", il pose aussi de vraies questions lorsque, relatant le destin " merdique " de certains jeunes, il s'interroge, à propos de la réinsertion sociale, sur l'utilité de la prison, le dernier refuge quand tout le reste a échoué : l'autorité parentale, le système scolaire, l'orientation et l'insertion professionnelle, et même la religion. Et il conclut : " Placer d'aussi grandes espérances dans les équipes pénitentiaires revient à mettre d'emblée cette administration en échec immédiat. "


EXTRAITS

Vivre à côté des truands


http://multimedia.fnac.com/multimedia/FR/images_produits/FR/Fnac.com/ZoomPE/4/2/0/9782213655024.jpgDésignez ma profession comme bon vous semble : " taulier ", " directeur de prison ", " maton en chef "... Cela me renseignera juste sur votre degré de connaissance de mon activité. Mon titre exact est " directeur des services pénitentiaires ", l'équivalent d'un commissaire dans la police nationale ou d'un officier dans l'armée. On a toujours l'impression que ce sont les policiers ou les gendarmes qui connaissent le mieux les délinquants et les truands... Foutaises ! Ils ne les côtoient que pendant la garde à vue, c'est-à-dire quelques heures ou quelques jours selon la gravité des faits commis, alors qu'en prison nous gardons les truands et les délinquants des mois ou des années, parfois une éternité.


Ce qui se passe sous une robe


Durant des années, la position des professionnels de la prison sur la sexualité des détenus a consisté à fermer les yeux et à ne prononcer aucun des mots qui fâchent : masturbation, homosexualité, rapports sexuels au parloir. Chacun dans son coin a tenté de trouver un compromis qui, d'année en année, s'est éloigné un peu plus des grands principes en matière de dignité humaine. Lors de mon affectation à la maison centrale de Moulins, je me suis rapidement trouvé devant une impasse morale et déontologique. Dans cet établissement, la topographie des parloirs n'autorisait aucune intimité, et nombre de détenus allaient dans les W.-C. pour avoir un rapport sexuel avec leur amie ou leur épouse. (...)


J'ai souvenir d'un détenu nommé Christophe B. qui venait d'entrer à la centrale et qui, chaque week-end, jouait les Rocco Siffredi au parloir. Lors d'un entretien, un officier l'avait rappelé à l'ordre, et la conversation s'était mal passée. (...)


Avec mille précautions, je lui explique que si son épouse lui rend visite vêtue d'une robe longue et si, par hasard, elle décide de s'asseoir sur ses genoux au cours de leur entretien, et si, encore par hasard, un gradé voit son épouse bouger de telle sorte qu'il puisse penser que son mari et elle sont en train d'avoir un rapport sexuel, le fait qu'elle porte une robe longue masquera l'essentiel, pour ne pas dire la totalité, des organes génitaux. Dans ce cas et dans ce cas seulement, l'article D 249-2 alinéa 5 ne s'appliquera pas, car il ne concerne que les actes obscènes imposés à la vue d'autrui. Ce qui se passe sous une robe longue ne concerne plus le Code de procédure pénale.


Comment la drogue circule


Il est impossible d'empêcher la drogue d'entrer en prison. Tout d'abord parce que les contrôles et les fouilles des personnes accédant en détention obéissent à une seule philosophie : éviter que des armes n'entrent. Les personnes qui veulent introduire des produits stupéfiants utilisent leurs cavités corporelles pour les dissimuler, avant de les remettre au détenu à qui elles rendent visite. Le détenu qui récupère la drogue la place parfois sous ses testicules ou entre ses fesses. Il court toutefois le risque de se faire prendre lors de la fouille intégrale qui suit le parloir. Comme les surveillants n'ont pas la possibilité légale de fouiller l'intérieur du corps, les détenus les plus prudents cachent la drogue dans leur rectum. En jargon pénitentiaro-policier, on dit qu'ils " coffrent ". En maison d'arrêt, où les visites ne durent que trente minutes, certains boivent 2 litres d'eau avant le parloir, avalent la barrette ou l'ovule de cannabis et se font vomir en retournant dans leur cellule. Concernant l'ecstasy, l'héroïne et la cocaïne, la taille minuscule des comprimés, des " cailloux " ou des doses leur permet d'être véhiculés dans la bouche.


La drogue entre aussi en prison par projections. Les complices des détenus lancent des balles de tennis ou des canettes de soda bourrées de drogue dans les cours de promenade, où les détenus les récupèrent (...) Pour lutter contre ce phénomène, l'administration pénitentiaire a surélevé les grillages des cours de promenade avec des filets spéciaux, dits " antiprojection ".


Inévitable corruption


Le " facteur humain " est à la fois la plus grande force et la plus grande faiblesse de l'administration pénitentiaire. Un fonctionnaire pourra se laisser corrompre de plusieurs manières : par amour, par appât du gain, par peur, par naïveté, pour le sexe, pour combler une faille narcissique, ou encore si, au moment de son recrutement, il est déjà corrompu. Il n'y a pas de profil type de la personne qui va basculer du côté obscur. J'ai vu des visiteurs de prison le faire par naïveté ou excès de gentillesse, des auxiliaires d'aumônerie, des psychologues, des éducatrices ou des avocates par amour. D'autres le font parce qu'ils ont peur pour eux et leur famille. (...)


Le dernier agent que j'ai fait révoquer pour corruption, en 2003, faisait passer de la drogue et de l'alcool à un détenu par peur d'éventuelles représailles. Il avait été abordé sur le parking d'un hypermarché par une bande de truands qui lui avaient montré des photos de sa femme en train de conduire ses enfants à l'école et de lui-même devant chez lui. Il m'a raconté par le menu comment il avait été " recruté " par des malfaiteurs. Ces derniers avaient poussé le vice jusqu'à se prendre en photo devant la porte de son appartement. Le deal qui avait été proposé au surveillant était simple : soit il collaborait et introduisait de la drogue pour leur " copain ", soit il " arrivait un malheur " d'abord à sa voiture, puis à son épouse et à ses enfants, enfin à lui-même. (...) Le surveillant avait cédé. (...) J'ai appris par la suite qu'il avait été révoqué, puis condamné à six mois de prison ferme.


Fous dangereux


Une nuit, Rachid, pris d'une bouffée délirante, est conduit à l'infirmerie du bâtiment D1 pour y être vu par le médecin de garde. Il se trouve dans un état d'agitation extrême. La nature de son délire semble d'ordre mystique : il se croit possédé par un démon et veut s'arracher lui-même le coeur afin de se libérer de cette emprise. (...) Ses yeux démesurément grands ouverts brûlent de cet éclat particulier qui traduit la folie furieuse. (...) Dans son délire, il se précipite sur les personnels pénitentiaires ainsi que sur l'interne de garde qui tente de l'examiner. Il les bouscule, puis s'empare d'une paire de ciseaux et d'un scalpel sur une table de travail. Il jette les ciseaux, mais conserve le bistouri. Il commence à se porter des coups avec cet instrument et se lacère la peau au niveau du thorax. (...) La force conjuguée des trois surveillants parvient tout de même à bout de sa résistance. (...) Rachid est donc transporté en chambre d'isolement, allongé sur un lit où on lui pose une ceinture de contention psychiatrique - une épaisse ceinture de cuir marron renforcée de tiges de métal, qui permet d'immobiliser les bras et les poignets du malade (...). Nous sommes à quelques jours de Noël. Dès que j'entre dans la maison d'arrêt, on me demande d'urgence à l'étage de détention du bâtiment D1. (...)


Plus j'avance, plus je suis agressé par les cris, l'odeur d'excréments et celle de sang. Quelques pas encore, et j'y suis... Je me place dans l'encadrement de la porte : Rachid a réussi à se libérer un poignet, il s'est uriné et déféqué dessus, puis a tartiné certaines parties de son corps avec ses excréments. A présent, il est en train de se dévorer l'index droit. Comme un chien d'attaque, il secoue la tête pour bien arracher la chair qu'il est en train de mordre, sa propre chair. Il en a englouti une bonne partie, pratiquement jusqu'à la première phalange, dont on aperçoit l'os, mis à nu par les morsures répétées.


Les gangs et les " Kleenex "


Les membres des gangs ne portent plus le borsalino et le pistolet-mitrailleur Thomson, mais des pantalons baggy, des casquettes et des sweats à capuche. Ils commencent leur business par le deal de drogue, puis utilisent des kalachnikovs ou des fusils à pompe pour braquer des banques ou des fourgons de transport de fonds. J'ai discuté récemment avec un malfaiteur qui s'était évadé d'une maison d'arrêt du sud de la France et qui venait de se faire reprendre par la police. Il m'expliquait qu'aujourd'hui il était plus facile d'acheter un kalachnikov qu'un revolver. En effet, les vieux truands, les braqueurs " à l'ancienne ", comme lui, préfèrent travailler avec une arme de poing. Or, selon lui, un revolver vendu sur le marché parallèle des armes vaut aujourd'hui le même prix, à peu de chose près, qu'un kalachnikov, soit environ 1 000 à 1 500 euros. (...).


De fait, les gangs criminalisés des quartiers ont accès, depuis l'effondrement du bloc soviétique, à une profusion d'armes et d'explosifs soudain mis à disposition sur les marchés clandestins occidentaux : pistolets automatiques, pistolets-mitrailleurs, fusils d'assaut et kalachnikovs, fusils à pompe, explosifs, grenades, lance-roquettes de type RPG 7 ou LRAC (lance-roquettes anti-char, baptisés " Kleenex " par les malfaiteurs parce qu'à usage unique).


La terreur des barbus


Les islamistes radicaux incarcérés sont suivis de près par l'administration pénitentiaire. Cette surveillance vise parfois à éviter des affrontements " ethniques " entre des détenus musulmans radicalisés et d'autres groupes de détenus, comme les Corso-Marseillais ou ceux appartenant à la communauté des gens du voyage. Ainsi, en 2006, la direction de l'administration pénitentiaire a dû intervenir en urgence dans une maison centrale afin d'en exclure plusieurs détenus islamistes qui avaient provoqué des affrontements culturels, voire ethniques. Ils avaient traité de " mécréants " des détenus originaires du sud de la France et avaient tenté de les contraindre à prendre leur douche en sous-vêtements, car, selon leurs convictions, il est interdit de montrer ses parties génitales. Les islamistes étaient même allés jusqu'à essayer d'interdire à d'autres détenus de parler de sexualité ou de faire du sport en cuissard, car ce demi-short de course à pied moulait trop les parties génitales. Très vite, certains détenus charismatiques appartenant au milieu corse et marseillais, mais également quelques " beaux mecs " de la région parisienne (...) indiquèrent au directeur qu'ils ne pouvaient plus tolérer ce genre d'attitude et que, si l'administration ne réagissait pas, leur réponse serait des plus expéditives. Au final, un petit nombre de détenus repérés comme des islamistes radicaux furent transférés en urgence vers d'autres établissements pénitentiaires afin d'éviter de probables règlements de comptes.


" Le taulier. Confessions d'un directeur de prison ", d'Olivier Maurel (Fayard, 244 p., 15,90 E). Parution le 15 septembre 2010.


" Un jour, j'ai vu un détenu se dévorer l'index "

Enfer. Olivier Maurel, directeur de la prison de Poissy, témoigne sans tabous.

Denis Demonpion

Publié le 09/09/2010 à 11:13 Le Point

http://www.lepoint.fr/societe/un-jour-j-ai-vu-un-detenu-se-devorer-l-index-09-09-2010-1237519_23.php

 

 

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