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http://www.apra.asso.fr/Camps/Images/CarteCamps.gifLes camps d'internement sont associés au régime de Vichy. Et à l'occupation allemande. Nombre d'entre eux ont été pourtant ouverts dès février 1939. Et la plupart existent encore à la Libération ! Au-delà des polémiques, Denis Peschanski a suivi le sort des 600 000 personnes détenues entre 1939 et 1946 : Juifs, communistes, Tsiganes, trafiquants du marché noir, collaborateurs, etc. Dévoilant pour la première fois la réalité du phénomène. La xénophobie, l'exclusion et la mort.

Entre février 1939 et mai 1946, environ 600 000 personnes furent détenues en France dans le cadre d'une procédure administrative ? souvent sur décision du préfet ?, dans l'un des 200 centres d'internement qui parsemaient le territoire. La réalité de ce phénomène massif est déconcertante. D'abord parce que la chronologie fait apparaître que les camps ont existé aussi bien durant les derniers mois de la IIIe République que dans la France de Vichy et la France occupée, puis à la Libération. Une question majeure est posée : dans quelle mesure peut-on parler de continuité des procédures, des politiques et des hommes ? La diversité des victimes de cette procédure administrative commune ajoute à la confusion. On sait que, pendant la guerre, des communistes, des Juifs, puis, après la Libération, des collaborateurs furent internés. Mais des Espagnols et des membres des Brigades internationales après la victoire franquiste, des Allemands et des Autrichiens pendant la « drôle de guerre » (novembre 1939-mai 1940) ou des Tsiganes entre 1940 et 1946 le furent également. Et il y eut aussi des prostituées et des proxénètes, des trafiquants du marché noir et des droit-commun, des « indésirables étrangers » et, en 1945, des civils allemands. Comment, au total, rendre compte de cette diversité ? Acte I : La République (novembre 1938-juin 1940) En novembre 1938, le gouvernement Daladier promulgua un décret-loi « relatif à la situation et à la police des étrangers » qui permettait l'internement des « indésirables étrangers ...


Communistes, Juifs, collabos... La France des camps

Par Denis Peschanski

publié dans L'Histoire n° 264 - 04/2002

http://www.histoire.presse.fr/content/2_recherche-full-text/article?id=2223



http://www.la-clau.net/imatges/noticia/denis_peschanski_memorial_rivesaltes.jpgEntre le décret du 12 novembre 1938, qui permit d'interner les « indésirables étrangers » dans des centres spécialisés, et la libération du dernier interné en 1946, six cent mille hommes, femmes et enfants ont été enfermés dans les camps français. Denis Peschanski fait ici l'histoire d'un phénomène à la fois durable et massif, que de rares ouvrages pionniers n'avaient abordé que partiellement.

Républicains exilés de la guerre d'Espagne, puis «  ressortissants des puissances ennemies »  - qui, pour la plupart, avaient fui les persécutions antisémites et la répression politique. Enfin quelques centaines de communistes français furent les premiers à subir des mesures d'exception nées de situations d'exception. Avec l'instauration du régime de Vichy et l'occupation, communistes, Juifs et Tsiganes, ainsi que les droits-communs et les marché noir devinrent les victimes de la politique d'internement A partir de l'été 1942. suivant la logique d'extermination de la Solution finale, les camps se transformèrent en antichambres de la mort pour soixante-quinze mille Juifs de France déportés à Auschwitz. Ils furent remplacés, à la Libération, par tous les suspects de la Collaboration.

La France des camps, à partir dune cartographie précise. dessine ainsi la géographie inattendue d'un archipel. Deux cents camps, avec leurs bâtiments, leurs aménagements, une administration, des ministères de tutelle aux gardiens, des rapports socio-économiques avec leur région, une société internée, des solidarités. une entraide officielle et non officielle, dont la description concrète est permise par des archives abondantes, auxquelles s'ajoutaient les témoignages poignants des internés eux-mêmes.

Un épisode crucial de l'histoire de la France en guerre est là retracé, face aux simplifications des reconstructions mémorielles. dans sa diversité, sa complexité : son exacte réalité.

Directeur de recherche au C.N.R.S. (Centre d'histoire sociale du xx siècle. Paris-1), Denis Peschanski a notamment publié Vichy 1940-1944 Contrôle et exclusion (Ed. Complexe. 1997). Cet ouvrage-ci est issu de sa thèse de doctorat d'Etat.



http://www.lexpress.fr/images/jaquettes/81/9782070731381.gifLa France des camps : l'internement 1938-1946

Denis Peschanski

Paris, Gallimard, 2002, 549p

histoire-sociale.univ-paris1.fr/Publi/Camps.htm


Espagnols, Allemands, prostituées, trafiquants, juifs, communistes, collabos... De la IIIe République à la Libération, en passant par Vichy, nombre d'«indésirables» furent enfermés dans des conditions souvent déplorables. Le livre de Denis Peschanski revient sur ces épisodes tragiques

En février 1939, le premier camp pour «indésirables étrangers» ouvrait ses portes à Rieucros, en Lozère. Fin 1946, le camp des Alliers, en Charente, fermait après avoir libéré son dernier interné. Entre ces deux dates, plus de 600 000 personnes ont été enfermées derrière des barbelés dans près de 200 camps répartis sur tout le territoire français. Au terme d'une dizaine d'années de recherche dans les archives françaises, russes et allemandes, l'historien Denis Peschanski publie, avec une série de photos inédites, la première étude d'ensemble sur les camps français. Un phénomène massif auquel aucun département n'a échappé et qui aura concerné trois régimes: la IIIe République, Vichy et la IVe à ses débuts.

Il insiste sur la diversité des logiques œuvrant à l'enfermement de 1938 à 1946

Cet impressionnant travail permet de prendre la mesure d'une histoire assez mal connue et jusqu'ici déformée par des enjeux mémoriels qui ont tour à tour mis en valeur l'internement répressif, illustré par le camp de Châteaubriant et l'affaire des otages communistes, puis l'internement des juifs préalable à la Solution finale, symbolisé par les camps de Pithiviers et de Drancy. Passant en permanence de l'analyse générale aux exemples éclairants, Denis Peschanski souligne la complexité et la variété d'épisodes tragiques touchant, pour des durées et des motifs très différents, des populations très hétérogènes et aux destins peu comparables. A l'encontre de thèses récentes affirmant une prétendue «continuité» répressive entre la IIIe République et Vichy, il insiste sur la diversité des logiques œuvrant à l'enfermement de 1938 à 1946. Et contre l'anachronisme fréquent des lectures rétrospectives, il restitue un contexte dans lequel primaient alors l'impréparation, le provisoire, la panique et le débordement permanent des autorités.

Deux éléments réunissent cependant ces centaines de milliers de destins individuels. Un outil juridique privatif de liberté: l'internement administratif, décision préfectorale exemptée de toute procédure judiciaire. Et des lieux d'enfermement plus ou moins improvisés et aux appellations officielles variées: «camps d'hébergement», «camps d'internement», «camps de concentration».

A la fin de la IIIe République, les premiers camps furent ouverts dans l'urgence pour accueillir 350 000 réfugiés espagnols (dont 170 000 civils) après la chute de la Catalogne républicaine, en février 1939. Ils furent hébergés dans des camps de toile provisoires sur les plages du Roussillon (Saint-Cyprien, Barcarès, Argelès) et dans des prairies autour de Perpignan. La situation paradoxale de ces combattants politisés, qui se disaient «prêts à défendre la République française contre toute agression» et qui célébrèrent à l'intérieur des camps le 150e anniversaire de la Révolution française, se renouvelle en septembre 1939, lors de la déclaration de guerre, avec l'internement de 40 000 réfugiés allemands et autrichiens considérés comme « ressortissants des puissances ennemies », alors que presque tous avaient fui la répression politique ou les persécutions antisémites. Cette absurdité divise l'Etat. Les ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères demandent que l'on trie ceux qui veulent s'engager, mais cela traîne à cause de la mauvaise volonté des militaires. Inconscients de la dimension idéologique du nouveau conflit européen, ils rechignent: pour eux, une guerre ne peut être faite qu'entre nationaux; ils ne comprennent pas ces traîtres à leur pays. Beaucoup seront finalement utilisés comme main-d'œuvre, dans l'industrie et l'armement. Avec Vichy, l'enfermement est au cœur d'un projet politique d'exclusion qui place hors de la « régénération nationale » communistes, étrangers juifs, prostituées et trafiquants du marché noir: 60 000 personnes seront internées en 1941, auxquelles il faut ajouter les Tsiganes, dont 3 000 le furent dans le centre du pays. Mais l'enfermement ne fut pas un objectif prioritaire de Vichy, qui n'y consacra jamais les moyens suffisants: au printemps 1942, il n'y avait «plus que» 10 000 personnes derrière les barbelés. Beaucoup de camps servent dès lors de lieu de tri et de rassemblement de juifs promis à la Solution finale, que viennent de décider les Allemands; 78 000 d'entre eux, pour la plupart étrangers, seront ainsi déportés de 1942 à 1944.

En temps de guerre et de grande pénurie, les pensionnaires de camps passaient
après tout le monde

Presque tous vides peu avant la Libération, les camps connurent un nouvel afflux brutal dans les semaines qui la suivirent: 60 000 suspects de collaboration étaient internés dans 171 camps en octobre 1944, dont un tiers de femmes. Ils étaient encore plus de 30 000 en janvier 1945, sous le régime de l'internement administratif défini par un texte d'octobre 1944, « valable jusqu'à la fin des hostilités ». Denis Peschanski montre que cette situation d'exception relève à la fois de la sécurité militaire contre les menaces arrières - la France restera en guerre onze mois après le Débarquement - et d'une logique épuratrice qui sert d'exutoire, non sans pagaille.

La nouvelle administration gaulliste parvient cependant à prendre le contrôle de situations locales confuses. Le 5 octobre 1944, Drancy accueille ainsi comme internés les deux responsables FFI du camp, qui se révélèrent « deux résistants de la toute dernière heure qui s'étaient promus officiers » et martyrisaient les suspects enfermés ... Il fallut de longs mois pour faire le tri de ces masses arrêtées avec plus ou moins de légitimité. Denis Peschanski souligne que ces internements parfois approximatifs ont aussi mis beaucoup d' « épurés » à l'abri du lynchage.

Quels que soient les régimes et les responsables, la constante fut le manque de moyens: en situation de guerre et de grande pénurie, les pensionnaires des camps passaient après tout le monde. Des milliers d'Espagnols séjournèrent l'hiver à même le sable des plages: les chauffeurs des brigades d'Albacete, qui, fonçant dans le camp de Saint-Cyprien, y ensablèrent leurs camions, furent privilégiés en vivant dans leur véhicule. Dans l'urgence, les préfectures transformaient tout en camps: anciens forts, usines désaffectées, hangars, fermes, colonies de vacances, écoles, salles de spectacle, etc. Les ingénieurs des Ponts et chaussées étaient aussi mis à contribution, comme à Gurs, où, en six semaines, une véritable ville fut construite pour 18 000 personnes: 428 baraquements avec route, électricité, réseau d'égouts et 250 kilomètres de barbelés. Seule exception à l'improvisation: le camp de Saliers, près d'Arles, conçu par l'architecte des Monuments historiques pour les nomades et construit dans le style local, camarguais.

Le personnel de gardiennage fut toujours insuffisant. Les gendarmes à la retraite dirigeant les camps ne cessaient de se plaindre de l'impossibilité de pourvoir les postes et de la médiocrité des gardiens: sous-officiers en congé d'armistice, douaniers, jeunes désœuvrés attirés par l'illusion d'intégrer la fonction publique. Ceux-ci, sous-payés, voulaient souvent partir et devaient être interdits de démission. Le directeur du camp pour internées politiques de Brens se plaint ainsi dans un rapport de l'impossibilité matérielle d'assurer la garde « n'était la bonne volonté des internées »...

Cette pagaille explique l'importance des évasions dans les premières années: plus de 10% des internés des camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, s'évadèrent au cours de l'été 1941. Les camps les mieux tenus étaient ceux des politiques, souvent communistes, qui prenaient en charge la discipline interne et animaient de nombreuses activités: journaux muraux, spectacles culturels, enseignement.

La difficulté de gérer ces masses humaines débouchait souvent sur les mêmes drames sanitaires. Les grossistes chargés d'approvisionner les cuisines des camps y écoulaient souvent le plus mauvais ou le plus avarié, et le manque de protéines et de vitamines, allié à la pollution des nappes phréatiques par les déjections, faisait flamber les maladies au sein de ces populations souvent contraintes de rester des journées entières dans des baraques humides, infestées par la vermine, sans fenêtre ni éclairage. Incapable de faire face à la situation, Vichy, confronté aux protestations internationales, avait fini par accorder un droit d'intervention à la Croix-Rouge et aux œuvres de bienfaisance, pour compléter nourriture et soins. Utilisant cette marge de manœuvre non négligeable, beaucoup d'associations, mêlant actions officielles et clandestines, contribuèrent notamment à sortir beaucoup d'enfants des camps, pour les placer dans des familles (4 000 au printemps 1941).

Si la mortalité resta malgré tout limitée (3 000 décès, au total, de 1940 à 1942), elle toucha massivement les populations les plus vulnérables: les familles, brutalement et durablement déplacées, avec enfants et vieillards. Ce fut le cas des réfugiés espagnols: à Rivesaltes, la moitié des 140 nourrissons du camp mourut avant 1942. Puis des juifs expulsés par les nazis du pays de Bade en octobre 1940, antérieurement à la décision de l'extermination; 7 000 d'entre eux furent ainsi transférés à Gurs: 700 meurent durant l'hiver 1941 et 200 au cours de l'hiver 1942. Le cimetière de fortune ouvert dans le camp témoigne de cette hécatombe.

Promiscuité, dénuement, drames sanitaires

Enfin, épisode oublié et méconnu, des milliers de familles allemandes furent transférées en France au début de 1945, lors des derniers combats des Alliés sur le sol germanique. Ainsi, dans les quinze jours qui suivirent l'arrivée, le 29 avril, d'un convoi qui avait mis quarante heures à venir de Strasbourg, le responsable du camp de Poitiers relevait 37 décès, dont 16 nourrissons de moins de 1 an parmi les 46 enfants présents. Au total, 262 transférés allemands moururent dans ce camp, qui n'accueillit jamais plus de 3 000 personnes.

Le malheur fut donc le lot commun de ces internés, plus ou moins provisoires. Denis Peschanski, qui a dépouillé beaucoup de rapports administratifs, mais aussi des Mémoires et des témoignages privés, réfute la vision irénique de communautés soudées par l'épreuve. De sérieux antagonismes, parfois violents et dont les gardiens tiraient souvent avantage, existaient entre internés. Parmi les Espagnols, les staliniens, les trotskistes et les anarchistes se détestaient et continuaient, internés, à se livrer une guerre sans merci. Les communistes français étaient divisés entre ceux qui avaient suivi le pacte de Staline avec Hitler et ceux qui avaient rompu. Et certains juifs français, xénophobes, cherchaient à se distinguer de la « racaille » des juifs réfugiés d'Europe de l'Est.

Mais, au-delà de ces divisions historiques que l'enfermement a accrues plutôt que réduites, la promiscuité et le dénuement ne sont jamais des bienfaits pour l'humanité, comme le notait dans ses souvenirs Eugen Neter, ancien interné de Gurs: « La vie communautaire dans les baraques enlève les badigeons et montre chacun d'entre nous dans toute sa nudité psychique. Les forts se révèlent plus forts et les faibles plus faibles. Celui qui était déjà chez lui intéressé devient égoïste, le mesquin devient avare, le mou sans consistance, le bon meilleur encore et le valeureux énergique.»

Les camps du malheur
La France des internés

Par Eric Conan (L'Express), publié le 21/03/2002


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