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http://www.ajpn.org/images-justes/1266751110_mathieu1.jpghttp://www.crif.org/uploads/articles/bigimages/MathieuLgionGG.jpgCamille Mathieu a été décoré de la Légion d’honneur par  le Préfet du Val d'Oise le 11 novembre 2010. Il est le seul gendarme en poste au camp de Drancy décoré de la médaille des Justes(1) pour avoir sauvé onze Juifs, dont plusieurs furent cachés dans sa ferme familiale. Le jour même de l'ouverture du camp, Camille fut révolté par le traitement infligé  aux internés de Drancy. Pour les aider, il fallait désobéir. Il a donc désobéi et fut révoqué  en 1943.

 

Camille  Mathieu est une figure centrale de l’exposition itinérante sur les policiers et les gendarmes français « Justes parmi les nations » : « Désobéir pour sauver(2) ». A l’occasion du passage de cette expo à Bordeaux, la gendarmerie a organisé un colloque sur le thème : « Les gendarmes sous l'occupation : nuit, ombres et lumière(3). »  Le général d’armée Denis Vaultier, commandant la région de gendarmerie d'Aquitaine, est à l’origine de cette initiative et de ce titre, avec une idée : « regarder notre histoire en face ». La nuit, ou l’aveuglement des gendarmes qui ont refusé de voir autre chose que la lettre de la loi ; la lumière, pour ceux qui ont choisi de résister et de désobéir ; l'ombre, c’est la culture du respect de la hiérarchie militaire, ancrée dans les mentalités depuis des siècles et qui freinait l'entrée en résistance des gendarmes.

 

Ces  dernières années, de nombreuses initiatives ont permis de lever le voile sur les pages noires de l’histoire de cette institution : création d’un service historique de la gendarmerie, publication d’inventaires et de guides pour les chercheurs, ouverture de fonds d’archives, travaux universitaires, colloques, création d’un lieu d’accueil particulier pour les chercheurs (qui malheureusement n’existe plus).

 

Depuis la Révolution française cette arme avait trois grandes missions : « protéger le citoyen, garder, conserver l’Etat, défendre la nation ». Regarder en face l’histoire de  la gendarmerie pendant l’occupation, c’est étudier un auxiliaire de la politique antisémite de Vichy et des nazis. A la veille de la guerre, « La gendarmerie, les gendarmes ne veulent pas faire la guerre. C’est évident. Sauf pour la garde républicaine mobile », rappelle le général Georges Philippot(4). En juin 1940, bon nombre de  gendarmes départementaux ont fait leurs valises, « abandonnant les populations, bien avant d’avoir vu l’ombre d’un casque allemand. Fuite, sur ordre bien sûr ; mais compte-tenu de la convergence des points de vue, entre la hiérarchie et les subordonnés on peut se demander lequel, de l’ordre ou de la valise était prêt le premier. »

 

 Après l’armistice, l’épuration. On écarte « les gendarmes taxés d’’’incompétence’’ et accusés d’avoir eu une conduite ‘’indigne’’ pendant la guerre (notamment au cours de l’exode), mais également les juifs (5), les francs-maçons et tous ceux qui, par des déclarations imprudentes, semblent ne pas adhérer pleinement à la Révolution nationale », explique Bernard Mouraz(6). En avril 1942, la gendarmerie est placée sous l’autorité officielle de Laval,  et celle, revendiquée mais officieuse, de Bousquet, le secrétaire général à la police.  C’est dans ce cadre qu’elle participe – avec la police – aux rafles de juifs dans les deux zones. « L’institution prête son concours à leur transfèrement dans des camps dont elle assure la garde (comme à Drancy, Pithiviers ou Beaune-la-Rolande). Et elle accompagne, jusqu’à la frontière du Reich, les convois à destination des camps d’extermination. La plupart des gendarmes rechignent contre ces ‘’missions’’ et demandent à en être déchargés. Mais devant le refus catégorique des autorités allemandes, Vichy reste sourd à leur revendication et ceux qui hésitent sont sanctionnés. »  En janvier 1944, la gendarmerie est aux ordres de Darnand, secrétaire général de la milice qui agit comme une police supplétive en participant à la répression de la Résistance et aux arrestations de juifs : « À plusieurs reprises des gendarmes participent aux exécutions de Résistants condamnés à la peine de mort [par les cours martiales miliciennes]  » Après le 6 juin 1944 de nombreux gendarmes, ne faisant plus confiance à leur direction, passent à la dissidence et participent aux combats de la Libération. « Pour quelques-uns d’entre eux, précise cependant Bernard Mouraz, ces combats à visage découvert contre l’occupant, au cours de l’été 1944, sont aussi un moyen de faire oublier leur comportement des années antérieures. »

 

L’exemple extrême est celui de Drancy. Le 20 août 1941, les trois cent gendarmes de cette caserne deviennent  du jour au lendemain, ni avertis ni préparés, les gardiens d’un camp de concentration nazi, le plus grand camp d'internement de Juifs en France. Sur les trois années d’existence du camp, la gendarmerie assurera sa mission puisque sur 70.000 détenus, il n’y aura que 130 évasions et que la presque totalité périront dans les camps d’extermination. La présence de la garde permettra aux SS de contrôler le camp et la déportation avec un minimum de personnel. Comment se sont-ils comportés ?

 

« J’ai obéi aux ordres, j’ai fait observer des règlements que je n’étais pas habilité à juger ». C’était la ligne de défense des gendarmes officiers et sous-officiers jugés en1947 sur plainte d'anciens détenus de Drancy, C’était en particulier la défense du principal accusé, le capitaine Marcelin Vieux qui commanda la gendarmerie du camp en 1942(7). Le procureur de la république René Cénac ne contesta pas le devoir d'obéissance du soldat, mais il reprocha aux accusés d’avoir interprété et appliqué les règlements d'une façon hostile et inhumaine. Les descriptions de brutalités sur des enfants, des femmes, des personnes âgées et les malades, pesèrent lourd dans le débat. Mais ce qui pesa plus lourd encore, fut le contre exemple. Il y eut à Drancy des gendarmes que les détenus ont jugés « humains et irréprochables ». Il y eut une autre capitaine au même poste que Vieux, Robert Richard.  Lui, il s’est montré « digne de son uniforme » selon l’expression de Georges Wellers.

 

Il y avait des manières différentes d’obéir aux ordres: le sauvetage, la résistance, l’aide aux victimes (considéré comme un « acte de résistance » à la Libération, la désobéissance passive, l’obéissance passive, l’obéissance active, le zèle. A Drancy, il y avait quinze brutes identifiées dont dix furent jugés et quelques uns condamnés à des peines qui n’étaient pas à la hauteur de leurs crimes, une douzaine de résistants avérés, et deux cent soixante-dix  hommes qui se répartissaient entre ces deux extrêmes. Une soixantaine ont été sanctionnés pour aide aux victimes, désobéissance passive ou trafic. Ce qui domine, c’est l’obéissance passive, dénuée de toute pensée critique.

 

Il y avait une bonne et une mauvaise brigade selon les témoignages des internés, de bons et de mauvais officiers, Qu’est-ce qui détermine l’interprétation humaine ou inhumaine des ordres ? Le général Philippot ne croit pas qu’il faille chercher une explication dans l’institution. « C’est dans la personnalité de chacun que l’on peut découvrir, avec beaucoup plus de certitude, les motivations profondes de leurs actes.»  Pour le général d’armée Jean-René Bachelet, « il est bien rare que les ordres reçus, que les règlements donnent la solution. Bien souvent, le plus souvent, il n'y a de solutions que dans le fond propre de l'individu qui réagira je dirai quasi d'instinct. [...] Tout n'est pas dans la formation et l'instruction. »

 

On peut  constater deux lignes de partage flagrantes. L’attitude à l’égard des Allemands. Certains sont distants, froids avec l’occupant, ils réduisent les contacts au strict minimum. D’autres sont familiers, obséquieux, serviles, parfois admiratifs, ils s’affichent avec eux. Les jours de déportation, ils font du zèle et des démonstrations de violence. Et surtout, l’attitude à l’égard des internés. Pour les uns, les Juifs raflés  sont des criminels, des indésirables nuisibles. Ceux qui sont capables de martyriser des femmes, des enfants, des infirmes,  des personnes  âgées, doivent être animés, selon le procureur Cénac, d’« une haine tenace et forcenée », en l’occurrence, puisqu’il s’agit de Juifs, d’une haine antisémite. Pour d’autres, les internés sont des victimes de l’occupant, des êtres humains en détresse.

 

Les brutes sont le plus souvent ambivalentes, dociles et versatiles, font preuve d’une faible estime de soi, collectionnent souvent les échecs.  Chez les bons gendarmes, il y a ce que le psychosociologue allemand Harald Welzer appelle une « éthique de base » et qui peut se résumer en une phrase : « on ne peut tout de même pas faire ça!(8) ». C’est ce que le psychanalyste Erich Fromm appelle la « conscience humaniste », cette « conscience intuitive […] qui nous permet de nous comporter en êtres humains. C’est la voix qui nous ramène à nous-mêmes, à notre humanité (9)». Le gendarme décoré Camille Mathieu l’incarne parfaitement, ainsi que cette leçon d’histoire militaire : la désobéissance est parfois un devoir et un honneur.

 

Les efforts louables de transparence de la gendarmerie nationale pourraient être utilement complétés maintenant par une démarche pédagogique semblable à celle de la police qui fait visiter le Mémorial de la Shoah à ses nouveaux gardiens de la paix de Paris. La gendarmerie pourrait organiser une journée d’étude au Mémorial et à Drancy où réside toujours un escadron de gendarmerie mobile pour ses futurs officiers et sous-officiers.

 

Didier Epelbaum

 

Regarder notre histoire en France

http://www.crif.org/index.php?page=articles_display/detail&aid=22426&artyd=10

 

(1) Avec sa femme Denise qui reçut elle aussi la Légion d’honneur, et sa mère Blanche.

(2) Présentée par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre

(3) Le 7 octobre 2010, en partenariat avec le CRIF et la LICRA.

(4) Premier chef du service historique de la gendarmerie, président de la Société Nationale de l’Histoire et du Patrimoine de la Gendarmerie.

(5) Cf. à ce propos le travail du capitaine de gendarmerie Benoît Haberbusch : « Le sort des gendarmes juifs sous l’occupation », Revue d'Histoire de la Shoah N°187, juillet-décembre 2007.

(6) Historien du service historique de la gendarmerie

(7) Didier Epelbaum, « Obéir. Les déshonneurs du capitaine Vieux. Drancy 1941-1944 », Stock, 2009.

(8) Harald Welzer, « Les exécuteurs », Gallimard, 2007, p. 277.

(9) Erich Fromm, “Humanisme et psychanalyse” (1963), Le Coq-héron 2005/3 (no 182).

 

Photo : D.R.

 

Lien utile sur le blog

 

Obéir ; les déshonneurs du capitaine Vieux, Drancy 1941-1944

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